Il y a quelques jours, le blog de géopolitique « blogazoi » a publié l’une de mes dernières contributions sur le bilan d’Angela Merkel, tant en Allemagne qu’en Europe.

Retrouvez ce texte, « Angela Merkel: une grande européenne ? » ici : https://lnkd.in/dxUVWpQi et ne manquez pas les contributions des autres auteurs de ce dossier, y compris Alain Frachon, Directeur éditorial du Monde, Alain Lamassoure, Ancien ministre, Iain Begg, Professeur à la LSE, Yves Doutriaux, Conseiller d’Etat, Ricardo Perissich, ancien Directeur général à la Commission européenne : https://lnkd.in/d2jAQxnr.

Bonne lecture !


Angela Merkel, une grande européenne ?

Alors que les élections législatives allemandes se profilent le 26 septembre prochain dans un contexte incertain (les trois principaux partis de gouvernement, conservateurs, sociaux-démocrates et Verts étant au coude à coude dans les sondages), l’occasion est naturellement donnée aux analystes de jeter un regard critique sur l’Allemagne, sur les conséquences de l’élection ou sur Angela Merkel elle-même. C’est à ce dernier exercice que l’on se livrera brièvement ici, en se concentrant sur le bilan européen de la chancelière sortante. Celui-ci apparait malheureusement fort mitigé, en dépit d’un sens inné des valeurs et des atouts de l’Union.

Une femme politique remarquable

Quelques mots sur la femme, d’abord, qui influence généralement l’appréciation globale que l’on porte sur l’action de la responsable politique. Il est certainement difficile de ne pas être épaté par les mérites d’Angela Merkel. Par son parcours personnel, par sa détermination à servir l’intérêt général de son pays dans un milieu politique qui ne lui faisait guère de place, par l’utilité de son jugement scientifique et les vertus de son intégrité morale. Par sa simplicité dans l’action et dans la vie quotidienne, par son sens du consensus, qui est lui-même gage de paix civile et de légitimité politique et, bien entendu, par son extraordinaire endurance et sa constante popularité au terme de 16 années de pouvoir.

Angela Merkel, ainsi que l’a dit le Ministre des Finances français, Bruno Le Maire, « incarne mieux que quiconque l’Allemagne » contemporaine, démocratique, disciplinée, sûre d’elle-même, soudée par des valeurs d’autorité, de travail, de dialogue social. Un pays qui respecte la règle de droit et la puissance publique et qui ne rejette pas ses propres faiblesses sur l’intégration européenne, dont il sait toute l’importance. Une nation qui a réussi la réunification, qui est globalement à l’aise dans la mondialisation et avec son identité, qui a conservé son tissu social, bien géré ses finances, entretenu la compétitivité de son secteur industriel en même temps que le maillage de ses petites entreprises.

Un pays prospère et sûr de sa puissance

Voilà bien une situation enviable, rare en Europe, qui est en elle-même la marque d’une grande réussite politique orchestrée par « Mutti » et, selon nous, la raison essentielle de l’autorité de l’Allemagne au sein de l’Union européenne et même au-delà. Ce n’est pas un hasard, ni uniquement un clin d’oeil de l’histoire, si au terme de son mandat, le président américain Barack Obama a passé le « flambeau de la liberté » à la chancelière, vue comme la véritable chef de file d’une Union européenne appelée à dépasser ses crises et à endosser plus de responsabilités mondiales. Il y avait là une belle marque de reconnaissance pour celle qui fut gratifiée 14 fois du titre de « femme la plus puissante du monde ».

A cette aune, on peut pardonner à Angela Merkel d’avoir largement cueilli les fruits de la politique de Gerhard Schröder et de n’avoir que peu réformé. Voire même d’être tenue responsable de l’essor de partis extrémistes, tels que l’Alternativ für Deutschland (AfD), en ayant brouillé les repères politiques en Allemagne et sur les enjeux européens. Les lacunes de son bilan intérieur, sur le plan des investissements dans les infrastructures, de la pauvreté, de l’essor de la digitalisation ou de la transition énergétique sont, eux, plus contestables. De même que le sont les blocages européens de Berlin alors que le pays a si pleinement profité des avantages de la monnaie unique…

Un bilan européen mitigé en dépit de valeurs fortes

En Europe, la chancelière allemande aura certes été une dirigeante incontournable. Véritable « primus inter pares », elle compte de nombreuses réussites à son actif. Elle aura mené à bien la nécessaire réforme des institutions en ressuscitant en 2007, avec l’appui politique du président Sarkozy, le Traité constitutionnel rejeté par la France et les Pays-Bas. Elle s’est montrée déterminée à sauvegarder l’intégrité de la zone euro contre l’avis de son parti et de l’opinion. Elle a sauvé l’honneur européen sur l’accueil des réfugiés, appelé l’Europe à « prendre son destin en mains », participé aux efforts en matière de défense commune et accepté la mise en œuvre, l’été dernier, d’un plan de relance inédit.

 

Cependant, il est difficile au plan européen, comme en Allemagne, de porter un jugement dithyrambique sur son œuvre. Angela Merkel aura plus été une gestionnaire de crises qu’une bâtisseuse. Si elle fut incontestablement consciente des valeurs, des atouts, et de l’utilité de l’intégration européenne, elle n’eût pour elle guère de projet transcendant les clivages, en matière économique, fiscale ou stratégique. Elle commit de vraies erreurs, sur la gestion de la crise de la zone euro (en imposant en 2010-2013 une politique économique inadaptée et en bloquant des réformes nécessaires), en sortant unilatéralement du nucléaire et en ne se concertant pas avec ses partenaires sur la crise migratoire.

Certes, Angela Merkel a dû composer tout au long de sa gestion avec un système politique particulier et un parti majoritaire peu commodes, lents à la décision et peu ouverts aux concessions. Aussi, le contexte européen de la décennie, caractérisé par une succession de crises, une vive défiance, et des sensibilités nationales aiguisées, n’a certainement pas aidé. Enfin, les faiblesses françaises, au plan économique et politique, expliquent le peu de répondant allemand aux initiatives de Paris. Mais il est dommage que la chancelière n’ait pas fait preuve de plus d’audace en dépassant, dans le champ européen, la somme des intérêts particuliers pour laisser une marque plus profonde.

Olivier Marty enseigne les questions européennes à SciencesPo et à l’ENS-Ulm