J’ai publié, début juillet, deux versions d’une même analyse pour les Revues Banque et Télos sur la réaction rapide et importante du Groupe BEI à la crise actuelle, qui doit désormais se concrétiser dans les faits.
https://www.telos-eu.com/fr/il-ny-a-pas-que-la-bce-en-europe.html

À défaut d’avoir pu le faire en juin, les dirigeants européens tenteront de s’accorder, les 17 et 18 juillet prochains, au début de la présidence allemande du Conseil, sur le plan de relance inédit qu’à proposé la Commission à la fin du mois de mai. Ces négociations difficiles, qui voient l’Europe à nouveau mettre en jeu sa crédibilité, ne doivent néanmoins pas masquer l’action remarquablement proactive et constructive des institutions de l’Union observée jusqu’à ce jour : on a salué les mobilisations décisives de la Banque centrale européenne (BCE), du Mécanisme européen de stabilité (MES), et de la Commission, qui ont respectivement contenu les tensions financières, mis à disposition des lignes de crédit, et proposé différents outils de stabilisation et de relance des économies. C’est oublier que le Groupe Banque européenne d’investissement (BEI) se distingue également, en agissant pour protéger et relancer nos économies.

Une mobilisation précoce du bras financier de l’Union européenne

La Banque européenne d’investissement a en effet agi dès la première phase de la réponse européenne à la crise actuelle, qui visait, en appui aux diverses politiques nationales, à préserver les économies européennes d’une cascade de faillites et de chômage afin d’éviter une aggravation du choc conjoncturel. Les pouvoirs publics nationaux et européens partageaient le souci de garantir la trésorerie des entreprises, la continuité de l’emploi et la solvabilité des États dont les déficits publics étaient amenés à se creuser fortement. C’est à ce corpus d’objectifs que le Groupe BEI contribua en annonçant, dès le mois de mars 2020, une série de mesures garantissant la continuité du financement des entreprises :

  • des programmes de garantie spécifiques pour les banques, s’appuyant sur des programmes existants. Une tranche de garantie de 1 milliard d’euros permettra de mobiliser jusqu’à 8 milliards d’euros de financements à l’appui des PME ;
  • des lignes de liquidités spécifiques pour les banques, destinées à soutenir davantage les fonds de roulement des PME et ETI représentant 10 milliards d’euros ;
  • des programmes spécifiques d’acquisition de titres adossés à des actifs pour permettre aux banques de transférer permettant aux banques de transférer le risque sur des portefeuilles de prêts destinés à des PME, avec à la clé la mobilisation de 10 milliards d’euros supplémentaires ;
  • un plan de prêt au secteur de la santé de quelque 5 milliards d’euros, dédié aux infrastructures et équipements médicaux, aux traitements, à la recherche et à la prévention.

Très peu de temps après, c’est un nouveau Fonds de garanties de 25 milliards d’euros, octroyées par les États membres, qui permettra de couvrir les risques des banques et ainsi de mobiliser 200 milliards d’euros de financements au bénéfice principal de PME[1], qui a été approuvé par le Conseil européen le 23 avril dernier. Cette pièce maitresse de la réponse de la BEI à la crise suit la même logique opérationnelle que la principale des mesures précédentes : le partage des risques du secteur bancaire. Au total, au cours de cette séquence, le Groupe BEI apporta près de la moitié des moyens financiers réunis par les institutions européennes (hors BCE, 580 milliards d’euros) en se focalisant sur le soutien au secteur bancaire pour maintenir le financement de l’économie.

Le 27 mai dernier, lorsque la Commission européenne proposa le paquet « Next Generation EU » de 750 milliards d’euros soutenant la reprise des économies[2], il fut prévu que la Banque démultiplie sa contribution préalable par deux biais : d’une part, sa participation au futur programme d’investissement « InvestEU »[3], qu’il est prévu de doubler, sera revue à la hausse ; d’autre part, l’institution devra œuvrer au refinancement en fonds propres d’entreprises européennes stratégiques en bénéficiant d’une garantie communautaire d’une trentaine de milliards d’euros. Ainsi, le Groupe BEI agira-t-il plutôt, dans la phase de relance des économies, avec un souci traditionnel de soutien à l’investissement européen.

La dernière mouture d’une longue série de contributions face aux crises

Ces initiatives récentes s’inscrivent dans la longue série des réponses décisives apportées par la Banque aux divers épisodes critiques que traversa l’Europe depuis 2008. De la crise financière de 2008 au défi de la relance de 2012, de la crise des réfugiés de 2015 au soutien de long-terme à l’investissement et donc au potentiel de croissance européen, la BEI fut, en effet, régulièrement mobilisée par les dirigeants de l’Union pour apporter son concours aux politiques qu’ils engageaient dans l’urgence, en particulier lors de la mise en œuvre du fameux « plan Juncker » de soutien à l’investissement [4]. Ces opérations ont permis à l’institution financière de l’Union européenne d’assumer une position centrale dans le dispositif institutionnel européen.

Au cours des dix dernières années, en effet, la BEI est apparue plus nettement encore comme une force d’appui essentielle aux États membres. En raison, bien sûr, de sa force de frappe financière et du très faible coût de ses prêts, garanti par son excellente notation « triple A ». Mais aussi car cette institution de place catalyse des financements privés conséquents, surtout lorsqu’elle est en mesure de combler les failles des marchés financiers. Enfin, parce que le Groupe BEI soutient et structure la mise en œuvre des grandes politiques publiques européennes sur le terrain tout en favorisant leur appropriation par les autorités nationales et locales. L’engagement massif de la Banque dans le domaine climatique illustre chacun de ces atouts[5].

Quatre raisons de soutenir la réponse de la BEI à la crise actuelle

Aujourd’hui, la pleine mobilisation de l’institution face aux évènements révèle quatre aspects fondamentaux qu’il y a tout lieu d’évaluer positivement.

Face au COVID 19, la Banque fait d’abord un usage efficient de ressources financières européennes limitées. En effet, la principale caractéristique de l’action actuelle du Groupe BEI, tant dans le premier paquet de 28 à 40 milliards EUR qu’avec le Fonds de garantie des États membres et les mesures à venir de refinancement d’entreprises européennes stratégiques, consiste à utiliser avec parcimonie des fonds du budget de l’UE, des États membres, et/ou les siens propres pour couvrir les pertes associées à des financements risqués, au bénéfice des banques ou plus directement des entreprises. Ce type d’intervention, qui fut très efficace dans la mise en œuvre du « plan Juncker », et qui a vocation à se développer avec une plus grande rigueur encore dans « InvestEU », permet de démultiplier son impact à moindre frais.

Le deuxième élément positif est que le Groupe BEI promeut utilement les nécessaires coopérations européennes dans le domaine de la santé. La crise sanitaire a mis en exergue les limites de politiques de santé publique cantonnées au champ national et souligné, inversement, l’utilité des collaborations transfrontalières (dans l’accueil des patients, la coordination logistique en matière d’équipements, la recherche et les précommandes de vaccins, etc…). Forte de son expérience dans le secteur de la santé, la BEI soutient cette approche vertueuse, qui pourrait déboucher sur une véritable « Union de la santé », en finançant elle-même des projets d’infrastructures médicales, de traitements, programmes de vaccins et diagnostics – dans l’UE, sa périphérie immédiate et le reste du monde[6].

Il faut également, en troisième lieu, saluer que, face à la crise, la BEI fournit une aide importante aux pays plus vulnérables quelque peu oubliés, en Europe et dans le monde. Ceci se voit dans sa contribution à l’initiative « Équipe d’Europe » d’aide des États et des institutions européennes portée par la Commission au bénéfice d’une centaine de pays, qui manquent souvent d’infrastructures et d’équipements médicaux pour faire face à la pandémie et dont le tissu de petites entreprises doit être préservé. La BEI a en effet prévu d’engager jusqu’à 6,7 milliards d’euros dans ce volet « extérieur » sur les 20 milliards d’euros actuellement promis par les acteurs européens. Cette action compte particulièrement dans la périphérie méditerranéenne de l’Union, dont la stabilité est notre intérêt évident.

De la même façon, la BEI conforte le rôle international exemplaire de l’UE dans la crise, renforçant ainsi son poids géopolitique. L’action hors-UE de la BEI illustre traditionnellement le rôle de « puissance responsable » que l’UE entend exercer face aux défis mondiaux : nous l’observions déjà avec le concours de la Banque aux politiques communes de développement ou de climat, où elle joue un rôle majeur. Cela se vérifie désormais aussi dans le domaine de la santé. Ainsi, la BEI a-t-elle, début mai, noué avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) un partenariat visant à garantir des soins et l’approvisionnement en équipements médicaux dans les pays les plus pauvres. Avec cette coopération, le Groupe BEI soutient en réalité la reviviscence du multilatéralisme, dont l’utilité est plus que jamais avérée !

La réactivité et la valeur ajoutée du Groupe BEI en réponse aux crises qu’affronte l’UE sont à nouveau démontrées avec sa contribution substantielle aux efforts européens engagés face à la crise sanitaire et économique actuelle, tant en Europe que dans le monde. Il y a là une source de réjouissance pour ses actionnaires, les acteurs économiques et les citoyens de notre continent, qui distingueront à nouveau la pertinence de l’échelon européen pour servir les grands défis de notre temps. Mais aussi l’occasion de souligner qu’une augmentation du capital de la BEI est nécessaire pour qu’elle puisse tant assurer les missions qui lui seront confiées dans le cadre du plan de relance que pour renforcer sa contribution à la mise en œuvre du Pacte Vert et à la digitalisation de l’économie européenne…

L’auteur remercie Jean-Pierre Vidal, Premier conseiller économique du Président du Conseil européen, Michel Cojean, Délégué général de l’EIFR, et Damien Ientile, professionnel du secteur financier, pour leurs commentaires et suggestions.

[1] Voir au sujet des caractéristiques techniques de ce fonds et des autres initiatives de la Banque en réponse à la crise la page de la BEI : https://www.eib.org/fr/about/initiatives/covid-19-response/index.htm

[2] Voir sur les détails de ce plan, en cours de négociations, la page de la Commission : https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/health/coronavirus-response/recovery-plan-europe_fr

[3] Le programme « InvestEU » aura vocation à prolonger la logique du « Plan Juncker » au fil de la mandature 2021-2027 : des ressources budgétaires européennes limitées garantiront des financements risqués de la BEI (et d’autres banques publiques) afin de catalyser (initialement, 650 milliards) de financements publics et privés.

[4] Voir à ce sujet le chapitre « La BEI, une institution au cœur de la relance économique en Europe » in Marty, O. Dorgeret, N. Connaitre et comprendre l’Union européenne, Ellipses (2018).

[5] Le Groupe a pris l’engagement, en 2019, de porter ses financements « climat » à 50% à horizon 2025 (ils sont de quelques 35% aujourd’hui), ce qui représente un renforcement substantiel de ses ambitions dans ce domaine.

[6] Le Groupe estime avoir 6 milliards d’euros de projets de santé dans son « pipeline », dont un portefeuille de 22 entreprises de pointe mettant au point des vaccins, des traitements et des diagnostics.