lesechos

(Tribune parue dans Les Échos, le 9 juillet 2015)

Soyons sans illusions : le vote grec ne doit pas masquer que nous assistons à l’effondrement d’un modèle économique fondé sur la connivence du lien social plutôt que sur l’application de la règle de droit. Un système où les élites s’exonèrent très largement de leurs responsabilités en faisant supporter par l’Etat la distribution d’avantages insoutenables. La crise hellénique est celle de la faillite d’une gouvernance qui nécessite que l’Europe donne au pays des perspectives en privilégiant trois axes de reconstruction.

Le premier consiste à traiter durablement et fermement les failles de la gestion publique. L’Union doit dépasser une logique de surveillance macroéconomique et mieux prendre en compte les réalités de terrain. Elle pourrait envisager un système de mobilité des fonctions publiques pour que les Grecs s’approprient les meilleures pratiques et que les créanciers prennent réellement conscience des problèmes. Trois conditions seraient associées à cet « Erasmus des fonctionnaires ». La réciprocité : pour chaque agent grec en mobilité dans un pays du Nord, un Allemand ou un Français serait affecté en Grèce. Des moyens importants : le système doit être incitatif, concerner des agents compétents et s’inscrire dans la durée. Le ciblage : la mobilité doit moderniser les poches d’inefficacité.

Quatre politiques pourraient être envisagées. La fiscalité : le gouvernement grec doit mettre en place une vraie direction des finances publiques pour recouvrer les impôts et rapatrier les fonds considérables détenus à l’étranger. La politique économique : un Trésor digne de ce nom doit être mis en place à Athènes pour gérer sérieusement l’économie. L’industrie : la Grèce doit reconstituer sa compétitivité dans quelques domaines prioritaires (énergies renouvelables, logistique maritime, agriculture, tourisme). Le développement territorial : le pays doit établir des cadastres, notamment agricoles, et dynamiser le secteur productif particulier qu’ont toutes ses économies insulaires.

Un deuxième enjeu consiste à évacuer le problème de la dette. D’une ampleur d’environ 320 milliards d’euros, elle est détenue à 80 % par des créanciers publics. Elle est insoutenable si l’on tient compte de l’effondrement de l’économie, de la baisse des exigences des créanciers et de l’échéancier des remboursements, notamment privés. L’option du rééchelonnement pourrait avoir deux avantages par rapport à une annulation partielle : les Etats créanciers n’auraient pas à repasser devant leurs Parlements pour faire acter qu’ils « prennent leurs pertes » et l’on repousserait à plus tard une éventuelle annulation, qui serait alors traitée à froid.

En gage de geste politique, la Grèce devrait, en troisième lieu, faire l’objet d’un plan d’investissement massif de l’ordre de 30 milliards d’euros sur trois à cinq ans. Celui-ci devrait viser à restaurer l’appareil productif du pays et à densifier les tissus économiques locaux pour réduire les importations. Il serait illusoire, pour financer ce plan, de trouver davantage de fonds structurels faisant l’objet d’égoïsmes nationaux et déjà gérés par le secteur public grec. En revanche, la logique du plan Juncker qui vient d’être scellé confirme l’utilité d’un portage de risques, par la BEI, d’investissements attirant le secteur privé. Augmenter les moyens du Fonds européen d’investissements stratégiques permettrait de porter durablement le « risque grec ».

Le problème grec est indépendant de l’issue du référendum. Plus encore que les négociations sur le plan d’aide, l’arrêt de l’économie nécessite une réponse européenne de long terme. S’atteler à ce chantier de dix ans apportera au pays des perspectives et lui évitera de s’enfoncer dans un chaos où la pauvreté, l’insécurité et la décadence ne feront que prospérer.

Olivier Marty

Olivier Marty est maître de conférences à Sciences po. Il est membre de Stand Up for Europe, mouvement civil paneuropéen militant pour une poursuite de l’intégration européenne.