On l’a dit et redit, dans nos sociétés fébriles qui aiment à se faire peur, l’Europe est aujourd’hui dos au mur, accablée par la montée des périls. Alarmes externes, avec la remise en cause de la solidarité transatlantique, l’agressivité russe ou la vague migratoire. Dangers internes, aussi, avec un euroscepticisme élevé, une désunion des Etats, et le déclenchement incertain du « Brexit ». Notre continent devrait pourtant prendre la mesure des enjeux alors que s’ouvre une courte période de choix entre le « quitte » ou le « double ».

Il est vrai que jusqu’ici, tout conspira à entretenir l’anxiété. Le Conseil européen, devenu instance de gestion de crises, ne prend plus le temps d’expliquer ses décisions, qu’il applique d’ailleurs fort mal. Son attentisme atteint des niveaux sans précédent, comme on l’a vu avec sa réaction au référendum britannique. Les voix de ses dirigeants sont faibles et désunies face au président Trump, dont les commentaires méprisants devraient nous inspirer des contre-attaques bien senties. L’Allemagne exerce à nouveau un « leadership » par défaut qui lui pèse et l’incite à prôner des coopérations renforcées. Personne n’esquisse nettement la nécessité d’aller vers « deux Europe ».

Dans le même temps, nous continuons souvent à nous perdre dans des débats, riches mais handicapants, sur les responsabilités des institutions, des hommes et des Etats. Nous refusons de voir que la crise des gouvernants nationaux aura été, bien souvent, la cause des malheurs communs et des langueurs avilissantes. La tentation de déstabiliser nommément les dirigeants communautaires, tels MM. Juncker ou Draghi, est encore trop vive, quand bien même les actions louables de leurs institutions ne demandent qu’à être accompagnées par les Etats. La réalité est crue : l’Europe n’a plus de projet ni de direction depuis 2005, au moins. Il est donc vraiment temps de restaurer le primat du politique.

Inviter les capitales à voir loin et à faire les compromis nécessaires implique d’assumer le « besoin d’Europe » devant les opinions. En France, Emmanuel Macron a osé adopter une ligne offensive faisant frémir les extrêmes en optant habilement pour une « Europe de la souveraineté », embrassant la sécurité, la monnaie, le numérique ou le commerce. François Fillon s’est résolu à porter les sujets de défense, de politique étrangère et de gouvernance économique sur le devant de la scène. On le voit, le renouveau européen passe par un langage de vérité et des priorités clairement assumées qui peuvent être entendues dès lors qu’on les présente habilement et en débat démocratiquement.

Le renchérissement du coût de sa dette illustre que la France est très attendue. En mai prochain, elle peut porter un coup sérieux à la déferlante populiste qui touche tant les pays occidentaux que les émergents. Surtout, elle est en mesure d’organiser son retour politique pérenne en Europe en reprenant la main de l’Allemagne, si proche et si éloignée. Il ne s’agit pas seulement pour nous de restaurer notre crédibilité économique mais, plus fondamentalement, de rassurer sur notre capacité de projection collective dans la mondialisation. Cette perspective doit prendre appui sur un consensus politique large et digne et sur une société civile confiante.

L’Europe s’apprête à célébrer les soixante ans du Traité de Rome, le bel âge ! En coupant le gâteau d’anniversaire, il faudra certes réaffirmer nos valeurs mais aussi revendiquer notre vocation historique, celle d’être une « terre d’équilibre » qui a poussé plus loin que toute autre région du globe ses engagements de solidarité économique, sociale et environnementale. Ne biaisons plus : ce qui manque à l’Europe ce sont des dirigeants compétents, fiables et…qui y croient.

 

Olivier Marty est maître de conférences en institutions européennes à SciencesPo

Publié dans Les Echos le 10 mars 2017