J’ai publié, jeudi 18 avril 2019, une tribune défendant le passage à la majorité qualifiée en matière fiscale en Europe.


Le basculement vers un système de vote à la majorité qualifiée pour les sujets fiscaux ne fait pas consensus en Europe, regrette Olivier Marty. Les partis politiques nationaux et européens devraient s’en saisir. Les prochaines élections en sont l’occasion.

Dans la ligne des engagements de Jean-Claude Juncker, qui a souvent plaidé en faveur d’une Europe plus unie, plus agile et plus démocratique, la Commission européenne a récemment proposé d’user d’une disposition du traité de Lisbonne permettant de faire basculer progressivement le système de vote relatif aux matières fiscales de l’unanimité à  la majorité qualifiée.

Cette initiative n’a hélas, pour le moment, pas recueilli le consensus nécessaire des Etats membres pour être avalisée. Dès lors, elle a vocation à s’imposer comme l’un des thèmes majeurs des élections européennes. Les partis politiques nationaux et européens, de même que les citoyens, devraient s’en saisir, pour au moins trois raisons.

Des politiques fiscales plus justes

Recourir à la majorité qualifiée permettrait, en premier lieu, d’aboutir à des politiques fiscales plus justes. Avec une telle modalité de vote, en effet, la poursuite de la lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, résolument engagée au cours de la législature actuelle, serait facilitée. Dès lors, plusieurs Etats membres pourraient mieux fiscaliser les grandes entreprises, qui bénéficient de la vive concurrence actuelle interne à l’Europe, et être ainsi moins enclins à compenser leur manque à gagner sur les petites entreprises et les consommateurs.

Du même coup, ils mèneraient des politiques fiscales plus autonomes et dégageraient des marges de manoeuvre budgétaires appréciables pour investir dans des enjeux d’avenir, tels l’éducation, la santé ou les technologies de pointe.

Des décisions fiscales plus démocratiques

Des décisions fiscales européennes facilitées seraient aussi plus démocratiques. Dans le système actuel de l’unanimité, le Parlement européen n’a guère son mot à dire sur le fond des textes. Cette situation est anachronique avec les attentes des citoyens européens, qui ont été légitimement choqués par une série de scandales récents, et dont l’instance qui les représente s’est justement fait l’écho dans le cadre de nombreux travaux d’investigation.

De même, voir l’Union européenne se préoccuper mieux des enjeux fiscaux, parmi d’autres grands enjeux de nature régalienne (migrations, défense, sécurité, notamment), semble correspondre aux attentes des populations, qui lui reprochent souvent de se préoccuper de trop de sujets mineurs tout en étant incapable d’agir efficacement.

Des accords fiscaux plus rapides

Des accords fiscaux plus rapides serviraient aussi les intérêts propres de l’Union. Une fiscalité moins disparate diminuerait par exemple les coûts administratifs et économiques auxquels font face les entreprises et serait ainsi de nature à renforcer le potentiel de croissance de la zone. Aussi, plusieurs grandes politiques européennes, comme celle de l’environnement et du climat, nécessitent des soutiens fiscaux plus facilement actés.

Avec la majorité qualifiée, l’Union européenne pourrait également s’accorder sur la taxation des géants du numérique, réagir légitimement à la guerre fiscale internationale ranimée par les Etats-Unis, et être plus influente encore à l’OCDE, où des solutions fiscales de long terme doivent continuer d’être trouvées au service d’une mondialisation plus équitable.

L’argument convenu de la souveraineté opposé par plusieurs Etats à l’encontre du passage à la majorité qualifiée est aussi fallacieux que l’extension de ce système de vote est naturelle. Elus, partis politiques et citoyens ont l’occasion toute trouvée de renverser ce raisonnement en invitant les capitales à aller dans le sens de l’intérêt commun, du leur propre et de l’esprit des Traités qu’elles ont négocié et ratifié unanimement mais jamais guère assumé devant leurs opinions publiques…

Olivier Marty enseigne les Questions européennes à Sciences Po, HEC et l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm.

Olivier Marty


Lien de l’article original : www.lesechos.fr