Il faut soutenir le plan de la Commission sur l’accueil des migrants

Avec son projet de répartition entre les Etats membres des efforts d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés échoués en Grèce et en Italie, la Commission Juncker fait à nouveau preuve d’un grand sens politique. L’exécutif communautaire met en effet à l’honneur nos valeurs européennes d’humanisme tout en invitant à renouer avec un sens de la prospective, puisqu’il y a dans l’espace Mena et la Corne de l’Afrique près de 15 millions de personnes déplacées ! Il invite aussi à retisser une solidarité entre les capitales et illustre le besoin de redéfinir une ambitieuse politique méditerranéenne, si malencontreusement affaiblie. Ainsi, plutôt que de s’enfermer dans le piège irréfléchi et stérile du tollé, notre pays devrait soutenir sans ambiguïté cette initiative et favoriser, avec ses partenaires directement concernés, des positions communes, et ce pour quatre raisons.

La France devrait d’abord y voir une occasion authentique, à l’instar de son engagement en matière de défense, d’exprimer ses idéaux, ses traditions, et son expertise sur une question constitutive de son identité. Ayons l’honnêteté de dire qu’accueillir quelque 9.000 personnes n’est une menace sérieuse ni pour l’emploi ni pour la sécurité, ni un gigantesque « appel d’air ». Osons communiquer sur le fait qu’à plus long terme l’Europe aura également besoin de main-d’oeuvre pour faire face à son déclin démographique et à sa faible croissance. Cessons de refléter, avec ces réactions émotives, nos tensions sociales, nos lacunes démocratiques et notre lecture schizophrénique de l’idéal républicain, qui nuisent toutes à notre crédibilité extérieure.

L’idée selon laquelle refuser des « quotas » de migrants ferait refluer les extrêmes est tout aussi illusoire. C’est précisément en voyant le problème repoussé à une échéance plus lointaine que l’électorat français continuera d’entretenir un sentiment d’anxiété dont la prégnance handicape à la fois nos efforts de réformes et notre engagement à porter, de concert avec l’Allemagne, un nouveau projet européen.

La position du gouvernement français est, en troisième lieu, hypocrite dans la mesure où ses représentants au Conseil, déjà saisis du dossier, affichent un soutien de principe à ce plan. Mais elle est aussi handicapante car faire « faire l’Europe à Bruxelles » tout en disant le contraire à l’opinion rend notre politique illisible et, souvent, inefficace. Trouvons des compromis sur la pondération des critères d’accueil pour donner plus de poids au niveau de chômage ou aux demandeurs d’asile déjà pris en compte. Assistons même, dans un élan d’audace, la Grèce et l’Italie dans leur capacité de gestion effective des demandeurs d’asile. Ne soyons pas bloqués à l’idée que le Royaume-Uni ou des pays de l’Est ne souhaitent pas faire preuve de solidarité : voyons-y l’occasion de faire éclore les valeurs de cette Europe politique tant de fois appelée de nos voeux !

Enfin, le dossier des migrations est une chance pour apaiser la défiance et l’inimitié qui perdurent entre des Etats membres. La France devrait ici engager une nouvelle coopération pragmatique avec l’Allemagne, plus utile aujourd’hui que les velléités de puissance dont elle fait timidement le deuil. Au-delà, voyons qu’il est possible avec un Royaume d’Espagne dont le crédit et l’engagement européen ont retrouvé leurs niveaux d’avant-crise de trouver des accords. Engageons ces deux pays aux côtés de la Grèce et de l’Italie pour bâtir un mouvement d’unité méditerranéenne renouvelé dont le poids est nécessaire à l’obtention de la majorité qualifiée que nous avons souhaité instaurer sur ces questions de justice et d’affaires intérieures en signant le traité de Lisbonne.

Ne prenons pas prétexte d’obstacles techniques pour tourner le dos à une initiative qui permet à l’Europe d’afficher aux yeux du monde son exemplarité, à la Commission de conforter sa légitimité renouvelée, et à la France d’exprimer son message universel.

Olivier Marty

Olivier Marty est maître de conférences à Sciences po.