Entretien avec Olivier Marty

Économiste, enseignant d’économie européenne à SciencesPo et à l’ENS-Ulm

Président du Cercle franco-britannique de SciencesPo Alumni

 

Comment jugez-vous le résultat du dernier Eurogroupe en réponse à la crise ?

L’objet de l’Eurogroupe élargi était double : afficher une solidarité européenne face à une crise symétrique dont aucun pays n’est responsable et trouver des moyens financiers de soutenir, au niveau européen, les mesures économiques des États face à la crise. Il s’agissait sur ce second volet, en particulier, d’éviter un double écueil : que les États n’engagent que trop peu de dépenses publiques, ce qui aurait accentué le choc économique à l’œuvre ou, au contraire, qu’ils fassent tôt l’objet, en raison de leurs dépenses augmentées, de tensions sur leurs dettes souveraines, en particulier en ce qui concerne les États très endettés (Italie, France, Espagne, notamment).

Dans l’ensemble, le résultat est positif. La solidarité européenne a été exprimée en prévoyant de recourir facilement à trois dispositifs : le Mécanisme européen de Stabilité (MES) jusqu’à 2% du PIB de la zone euro, soit 240 milliards EUR ; la Banque européenne d’investissement (BEI) pour un total de financements mobilisables de 240 milliards EUR ; le mécanisme de prêts SURE de 100 milliards EUR géré par la Commission pour financer les mesures de chômage partiel. Ces mesures peuvent bénéficier aux États de la zone euro comme de l’UE. Aussi, les moyens financiers engagés (580 milliards EUR), couplés à l’action de la BCE, permettent de donner des marges de manœuvre aux États.

Plus fondamentalement, on peut relever trois éléments importants de la réponse européenne, qui attestent que des leçons de la crise précédente ont été tirées. D’une part, la réactivité et le caractère constructif des institutions de l’Union ont été remarquables. D’autre part, les moyens engagés expriment la volonté d’éviter, au moins à court terme, une restriction des dépenses publiques et leurs effets récessifs porteurs de conséquences sociales, ce que l’on appelle communément « l’austérité ». Enfin, le dispositif SURE témoigne d’un souci explicite, au niveau européen, des effets sociaux de la crise, tout en valorisant les dispositifs de chômage partiel, qui avaient déjà fait la preuve de leur efficacité.

L’accord obtenu est-il suffisant au regard des besoins ?  

Les moyens financiers engagés, qui constituent dans les faits de la dette mutualisée, permettent d’aider les États à contrer les effets économiques de court-terme de la crise tout en évitant des tensions sur leurs dettes publiques susceptibles de remettre en cause l’intégrité de la zone euro. Il est vrai, toutefois, qu’un mécanisme commun d’aide financière à la phase de relance, porté par la France et une coalition majoritairement constituée de pays du Sud de la zone euro, n’a pas encore été tranché. Or, au regard des besoins financiers totaux estimés par certains à environ 1,5 trillion EUR dans l’UE, les mesures actées pourraient bien être insuffisantes. Il est donc très important de faire plus.

Un dispositif nouveau émettant de la dette mutualisée sera-t-il créé à cette occasion ? Cela parait difficilement envisageable au regard de l’opposition de principe de plusieurs pays du Nord (Hollande, Allemagne, en particulier), qui pensent que les contraintes financières des États demandeurs sont aussi la conséquence de leur mauvaise gestion (ce qui n’est pas totalement faux en dépit du caractère « injuste » de la crise) et qui ont mal reçu une demande formulée de façon quelque peu maladroite, ne serait-ce que parce que celle-ci implique précisément l’opposition de deux camps. La focalisation sur les « coronabonds » a dans les faits nuit aux débats.

Que peut-on donc espérer des prochaines réunions ?

La création d’un fonds financé par emprunt, qui sera débattu au prochain Conseil européen, sera difficile. Un temps certain serait aussi nécessaire avant qu’un tel fonds n’émette de la dette. A ce stade, il est donc réaliste d’envisager une mobilisation inédite des instruments existants. Le cadre financier pluriannuel de l’UE pourrait être sensiblement augmenté en même temps que l’usage de fonds budgétaires à des fins d’investissement promu. Les moyens financiers et humains de la BEI, qui n’a pas ménagé ses efforts depuis dix ans en réaction aux évènements, pourraient également être revus à la hausse. L’ensemble des mesures nationales et européennes favorables à l’éclosion et au financement de projets d’investissement pourrait aussi être mieux mis en œuvre.

Au total, je pense que les négociations déboucheront sur un mélange sous-optimal de mutualisation financière et de financement monétaire des dettes publiques, qui sont les deux grandes options possibles pour faire face à un tel choc. Cela devrait éviter un éclatement de la zone euro, mais cela se ferait au prix de conséquences économiques (pertes de production, divergences macroéconomiques), sociales (inégalités, précarité) et politiques (dissensions ravivées entre États membres, risque populiste) durables dans les pays les plus touchés, qui rendront la cohabitation des États membres de la zone euro encore plus difficile. Cela est inquiétant : si la rigueur de gestion et la solidarité financière ne cohabitent pas mieux dans l’union monétaire, il y aura vraiment lieu de s’inquiéter de son avenir.

La réponse européenne ne devra évidemment pas oublier un volet d’aide financière à la périphérie de l’Union, en particulier en Afrique et dans le pourtour méditerranéen. Des prêts ne seront pas forcément la mesure la plus efficace, mais des restructurations de dettes, des mécanismes de garanties et des dons devront être envisagés. La BEI sera, là encore, une pièce maitresse de la réponse européenne, qui se coordonnera avec d’autres banques multilatérales de développement (BERD, Banque mondiale, notamment). La préservation de la santé publique et des économies des pays qui nous entourent est un impératif moral de même qu’un intérêt commun évident des États de l’Union au regard des enjeux commerciaux comme migratoires.

Olivier Marty