Fondation-robert-schuman_blancLa proposition de règlement portant création du Fonds européen d’investissements stratégiques (FEIS) a été présentée par la Commission européenne le 13 janvier. Le trilogue est engagé jusqu’à la fin de la présidence lettone dans le but de rendre le dispositif opérationnel cet été. Il est prévu qu’un premier accord de principe soit trouvé par le Conseil Ecofin de mars. Dans cette perspective, cette note revient sur les trois dimensions du plan Juncker, indique comment elles peuvent, dans leur ensemble, en assurer la réussite, et énonce quelques avis sur les points techniques débattus.

Introduction

La Commission européenne a récemment remis au Parlement européen et au Conseil sa proposition de règlement portant création du Fonds européen d’investissements stratégiques (FEIS)

[1].

Le fonds de garantie fait partie d’un projet politique plus vaste qui vise à assurer la catalyse de l’investissement privé pour réaliser les priorités européennes. Dans quelles conditions le « Plan Juncker » peut-il réussir ?

Cette note revient, dans une première partie, sur les trois caractéristiques du plan d’investissement. Elle indique ensuite comment elles peuvent, ensemble, en assurer la réussite. Elle revient, enfin, sur quelques points discutés au cours du trilogue.

 

I – Le plan Juncker est un triangle reliant financements, vivier de projets et environnement propice à l’investissement

  1. La mobilisation de 315 milliards d’Euros d’investissements supplémentaires pour l’Union sur une période de trois ans

Le premier volet du plan Juncker vise à mobiliser 315 milliards d’Euros d’investissements additionnels dans l’Union sur les trois prochaines années, c’est à dire en plus de l’activité normale de la Banque européenne d’investissement (BEI), de l’UE et des États. Ceci a pour but de combler le sérieux retard d’investissement de l’UE depuis le début de la crise[2]. Le montage de base consiste à utiliser des enveloppes budgétaires publiques, de l’Union et de la BEI, pour garantir des investissements de la BEI plus risqués que ceux que ses règles prudentielles lui permettent et ainsi catalyser l’investissement privé.

Le nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) agira comme un fonds de garantie de 21 milliards d’Euros. Il sera doté de 8 milliards d’Euros provenant du Mécanisme européen pour l’interconnexion (MEI, dit aussi « Connecting Europe Facility »), du programme « Horizon 2020 », et de lignes budgétaires réallouées[3]. 8 autres milliards du budget de l’UE seront mis à disposition du Fonds après, vraisemblablement, des réaffectations des enveloppes de programmes communautaires déjà alloués aux États. Quant à elle, la BEI puisera 5 milliards d’Euros sur ses fonds propres pour doter le FEIS.

L’effet de levier de 15 du Fonds serait atteint en deux temps. 1 Euro de dotation au Fonds permettra à la BEI d’investir sous formes de produits à risque à hauteur de 3 Euros[4]. Ces investissements attireront des investisseurs privés à hauteur de 5 Euros pour chaque Euro investi par la BEI. Le volume total des investissements finaux est estimé à 315 milliards ; ce montant global devrait se répartir à hauteur de 240 milliards d’Euros dans les infrastructures stratégiques d’intérêt européen (transports, énergie, haut débit, éducation, santé, projets de R&D, etc.) et pour 75 milliards d’Euros en financements à risque des PME et entreprises à moyenne capitalisation (ETI)[5].

  1. Un vivier de projets en phase avec les priorités européennes

Les financements mobilisés soutiendront des projets prévus pour être d’intérêt européen et s’inscrivant dans la ligne des priorités de la Commission[6]. Chaque État a ainsi été invité, en décembre 2014, à transmettre à la Commission une liste de projets publics ou privés (qui sera amenée à évoluer), qui a atteint un montant total de 1.300 milliards d’Euros[7]. Ces projets, désormais mieux identifiés, seront logiquement présentés par leurs promoteurs à la BEI et passés individuellement au tamis du Comité d’investissement « ad hoc » qui sera mis en place, sur la base de critères de crédit vraisemblablement assouplis, avant d’être instruits pour un financement à risque de la BEI dans le cadre du Plan Juncker.

Élément essentiel du deuxième côté du triangle du Plan, une assistance technique organisée par la BEI (et, pour partie, financée par le budget communautaire) sera sensiblement développée afin d’aider les promoteurs à mieux structurer leurs projets et à les financer. Cette plateforme vise notamment à accompagner la mise en place et l’usage accru d’instruments financiers complexes et à accroître la coopération entre la BEI et les banques promotionnelles nationales (BPN), qui ont recours à des montages financiers plus semblables et se voient parfois confier ces mêmes instruments, comme en France (rôle de la BPI et de la CDC). La plateforme sera dotée de moyens conséquents puisque la proposition de règlement prévoit de lui allouer 110 Millions d’Euros.

Un dialogue entre la Commission, la BEI, les promoteurs, les investisseurs et autres acteurs institutionnels est enfin prévu aux niveaux européen, national et régional afin de faciliter les réalisations et de sensibiliser aux nouvelles modalités de financements. Il sera l’occasion d’expliciter les activités risquées de la BEI, les synergies entre les programmes nationaux et ceux de l’UE, et les instruments financiers. La possibilité de reconversion des fonds structurels dans ces instruments y sera également abordé comme vecteur de réalisation, voire de dépassement, des objectifs du plan, comme le prévoit la proposition de règlement. Ceci traduit un changement d’approche de la Commission, nous y reviendrons.

  1. Établir un environnement propice à l’investissement, aux niveaux nationaux et européens

Le troisième côté du triangle vise d’abord à favoriser une prévisibilité accrue de la réglementation, au niveau des États comme de l’UE. Cet aspect essentiel à tout investissement est trop souvent négligé par les décideurs publics. Attirer et pérenniser l’investissement privé nécessite des règles simples, prévisibles, et pérennes. Ce point fait écho aux questions fiscales, qui doivent en plus être suffisamment incitatives, ainsi qu’à la qualité des dépenses nationales et des administrations, qui peut être sensiblement améliorée dans beaucoup de pays, notamment dans le cadre du Semestre européen sur lequel nous reviendrons.

Un aspect important d’un meilleur environnement d’investissement consiste aussi à libérer les sources de financement désintermédiées (i.e. non bancaires) de long terme, alors que l’économie de l’Union est très majoritairement financée par les banques. Ces dernières étant contraintes dans leurs capacités de prêt, en raison notamment du cadre règlementaire qui leur a été imposé depuis 2009, le développement des marchés des capitaux peut « prendre le relais » des banques et favoriser l’investissement de l’épargne privée européenne sur le financement à long terme des infrastructures et de l’innovation[8]. L’Union des marchés de capitaux est donc étroitement associée à la réalisation du Plan Juncker.

Enfin, parachever le marché unique en assurant une harmonisation des règlementations et une suppression des obstacles règlementaires à l’investissement peut grandement aider à la réussite du Plan Juncker. Des opportunités de financement se dégageront d’un marché unifié par des orientations politiques et des règles juridiques et fiscales convergentes, prévisibles et stables. Savoir quel sera le « policy mix » énergétique européen au-delà des objectifs fixés dans les paquets Énergie-Climat ou comment les marchés domestiques seront ouverts aux prestataires étrangers est, par exemple, déterminant dans le secteur de l’énergie[9].

 

II – Le Plan Juncker illustre une volonté de moderniser le financement de l’économie européenne

  1. Des financements publics et privés innovants permis par une utilisation plus stratégique des ressources communautaires

L’effet de catalyse de l’investissement privé est au cœur du Plan Juncker. A défaut de contributions des États ou des banques promotionnelles au FEIS, celui-ci ne sera assuré que sur la base des enveloppes des fonds des programmes budgétaires et de la BEI. Au-delà de leurs financements, ces programmes communautaires sont utiles à double titre : d’une part, ils favorisent une convergence des politiques économiques nationales et européennes, comme par exemple, en France, avec la loi de transition énergétique, calquée sur Horizon 2020[10] ; d’autre part, ils assurent une complémentarité des ressources nationales et communautaires dans la réalisation de projets collectifs.

 

Les instruments financiers jouent ici un rôle essentiel, qui explique leur promotion et leur usage accrus[11]. Ces instruments transforment les ressources budgétaires de l’UE, notamment des fonds structurels, en des produits financiers tels que des prêts, des garanties, des apports de fonds propres, et d’autres mécanismes à risques. Ainsi, les aides non remboursables aux États sont complétées par d’autres produits financiers de sorte que les fonds mis à disposition par l’UE se renouvellent en permanence. Les instruments financiers mobilisent un surcroit de co-investissement public-privé et assurent une meilleure performance des projets[12].

La BEI a développé une expertise reconnue dans la gestion des instruments financiers dont l’effet de levier, variable selon les produits utilisés, peut aller jusqu’à 30. Comme le rappelle l’ancien président de la Banque, Philippe Maystadt, le programme « Risk sharing finance facility » (RSFF) a assuré, avec une garantie initiale de 1,2 milliards, plus de 30 milliards d’investissements totaux en recherche[13]. Aussi, le tout récent programme Innov’Fin destiné à la recherche et au développement est doté de fonds plus conséquents (3 milliards d’Euros), sur une durée plus longue, avec une portée plus large, confirmant ainsi l’allant de l’autorité budgétaire européenne[14].

Il est essentiel que les décideurs d’investissements publics ou d’utilités collectives s’approprient ces instruments pour assurer la réussite de leurs projets et du plan, voire aller au-delà, comme le prévoit la proposition de règlement[15]. Cet impératif est désormais plus souvent intégré aux analyses sur le Plan Juncker : l’agence de notation Standard & Poor’s considère par exemple que le plus grand défi du plan consistera à catalyser les financements de marché dans un délai très court et que le soutien et les incitations des institutions multilatérales, des politiques et des administrations aux montages complexes sera, dans cette perspective, déterminant[16].

Malgré cet avis favorable, la variété des instruments financiers potentiellement utilisés dans le cadre du Plan Juncker, comme le contexte financier actuel, ne permettent pas aujourd’hui de déterminer si la « réponse des marchés » à hauteur de 240 milliards d’Euros dans les infrastructures aura lieu. En effet, certains investisseurs (assurances, fonds de pension par exemple), souhaitant revenir sur l’investissement de long terme, pourraient préférer, dans l’environnement actuel de taux très bas, obtenir des rendements élevés et renoncer à certains mécanismes de rehaussement de crédit dont l’objet est précisément de réduire le coût pour l’emprunteur, donc la rémunération du prêteur [17].

  1. Une assistance technique renforcée grâce à l’expertise de la BEI et des banques promotionnelles nationales

Nouveauté méconnue du Plan Juncker, une plateforme de conseil en investissement (« Investment Advisory Hub ») sera placée, au sein de la BEI, sur la base de l’expérience de la Banque sur certains programmes. Elle agira comme point d’entrée unique pour trois types d’utilisateurs : promoteurs de projet, investisseurs, autorités de gestion publiques. Une plateforme d’information, baptisée « Fi-Compass », lui sera associée : celle-ci a été lancée par les Vice-Président Katainen et Molterer le 23 janvier 2015, illustrant, selon les mots de ce dernier, un « changement de paradigme dans l’utilisation des fonds structurels ». Toutefois, le cœur de son activité consistera à aider les promoteurs de projets à mieux structurer leur offre, à tous les stades de préparation des projets.

Ainsi, la BEI offrira des services d’assistance technique plus amples sur l’ensemble des étapes de structuration des projets et fournira des conseils sur les sources et les modalités de financement les plus appropriées, à la condition que les projets présentés soient bien préparées et viables. Elle dépassera ainsi la logique d’assistance « ad hoc » qui était la sienne jusqu’à présent, comme par exemple sur le recours aux contrats de PPP ou la préparation de plans d’investissements urbains en efficacité énergétique. Ce faisant, elle modifiera ses relations avec ses deux contreparties : avec la Commission, car le fait d’avoir une palette d’outils techniques est de nature à établir une coopération globale sur l’assistance technique ; avec les promoteurs de projets publics, car ceux-ci moderniseront leurs montages et leurs relations avec les autorités publiques. Il est donc souhaitable que les États acceptent de « jouer le jeu » en faisant bien appel aux capacités d’assistance technique proposées par la Commission et la BEI, ce qui n’est pas une démarche aisée pour certains d’entre eux[18].

La coopération entre la BEI et les BPN peut également être favorisée par ce « Hub », puisque celui-ci pourra, le cas échéant, orienter les promoteurs vers l’assistance technique des BPN et que les co-financements, comme les retours d’expérience, entre l’ensemble des investisseurs pourra être favorisé. A cet égard, la coopération entre la BEI et la CDC et bpifrance peut tout à fait servir d’exemple[19]. La perspective d’avancées « incrémentales » entre les bras financiers publics semble en effet être la plus crédible à moyen terme, la volonté des BPN (comme d’ailleurs du secteur privé) d’abonder le FEIS ou la possibilité de prendre des participations au capital du Groupe BEI n’étant pas, pour le moment, assurées.

  1. Une amélioration prévue du cadre de politique économique et du marché unique

L’occasion offerte par le Plan Juncker d’améliorer les règlementations nationales et européennes est conséquente. En faisant levier des investissements effectués au titre de programmes européens, les États sont amenés à inscrire plus résolument leurs politiques publiques dans la ligne des politiques européennes. Aussi, assurer une réglementation nationale plus stable, prévisible et pérenne se conjugue avec l’engagement de la Commission d’avoir un agenda législatif plus léger et favorable à la croissance. L’exécutif européen a déjà habilement donné des gages de crédibilité en la matière, en allégeant significativement le programme de la Commission en 2015, notamment sur le plan de la régulation financière[20].

Un défi important consistera pour certains États, dont la France, à mieux assurer la crédibilité de leur politique économique. Cet effort peut être effectué dans un cadre de gouvernance économique sensiblement amélioré depuis le début de la crise financière et en tirant parti des ouvertures faites par la Commission en janvier 2014. Le Commissaire Pierre Moscovici a en effet proposé des flexibilités cumulables sur l’interprétation du Pacte de stabilité : toute contribution des États au FEIS serait soustraite au calcul de déficit ; toute dépense engagée conjointement avec l’UE dans la construction d’une infrastructure le serait aussi pour les pays dont le déficit est en dessous du seuil de 3%[21].

L’approfondissement du marché unique est un enjeu considéré par de nombreux experts comme crucial pour la réussite du Plan Juncker[22]. Sans espace de marché attractif, c’est à dire plus large et reposant sur des règlementations harmonisées et des politiques nationales coordonnées, la catalyse de l’investissement sera amoindrie. La Commission a indiqué vouloir agir en priorité sur les secteurs de l’énergie et du numérique au premier semestre 2015. Au vu des enjeux sur ces deux marchés, cet agenda semble déjà conséquent[23]. Il peut être facilité par des propositions du Conseil, comme y a invité récemment le Vice-Président Katainen lors de la présentation du Plan le 12 janvier à l’Institut Bruegel.

 

III – La proposition de réglementation de la Commission laisse plusieurs points en suspens qui devront être tranchés au cours du trilogue

  1. Clarifier la gouvernance du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS)

Le projet de règlement soumis au Parlement et au Conseil prévoit actuellement une gouvernance du FEIS à deux niveaux. D’un côté, un Comité directeur (« Steering Board »), auxquels appartiendraient la BEI et la Commission et tout autre contributeur au FEIS, serait chargé d’établir la politique d’investissement et le profil de risque moyen ; il peut être souligné que le projet de règlement dispose que le Comité directeur prend ses décisions « par consensus ». De l’autre, un Comité d’investissement (« Investment Committee ») dirigé par un Directeur et son adjoint et constitué de six experts « indépendants », sélectionnerait les projets d’investissements ; notons qu’ici, la décision du Comité est prise par projet, à la majorité simple.

La structure « bicéphale » de la gouvernance a manifestement été prévue par la Commission pour, d’une part, écarter les États des décisions de gestion du Plan Juncker et, d’autre part, s’assurer que la BEI prendra bien les risques nécessaires à la réalisation des investissements propres au plan[24].

Le premier niveau de gouvernance ne soulève pas d’enjeu particulier. Toutefois, trois questions se posent sur le Comité d’investissement :

  • Quels types d’experts seront nommés pour choisir les investissements et qui, de la Commission ou de la Banque, présidera ce Comité ? La BEI a déjà une expérience de sélection et de suivi de projets avec des experts indépendants issus du secteur bancaire sur certains programmes d’investissement, y compris au niveau de son Conseil d’administration. Ce profil est peut être préférable à certaines figures publiques pour assurer une compréhension des montages financiers et les disponibilités du marché. Par ailleurs, il parait souhaitable que la Banque soit à la tête de ce Comité compte tenu de sa connaissance des montages.
  • Quels seront les liens entre le Comité d’investissement et le Conseil d’administration de la BEI ? Le Comité « ad hoc » du Plan Juncker se reposera très vraisemblablement sur les services de la Banque et sur son propre Comité de direction. Il faut entre les deux établir un lien net, en particulier sur les critères économiques, techniques et environnementaux d’instruction et d’évaluation des projets qui, selon la proposition de règlement, devraient être ceux applicables par la BEI dans ses activités classiques. L’efficacité du Plan Juncker dépendra de la rapidité de réaction de la BEI et donc d’une gouvernance permettant de prendre une position rapide sur chaque proposition d’investissement.
  • Quelles seront les procédures associées au choix et au suivi des projets ? Une meilleure coopération entre la BEI et la Commission telle que celle qui est favorisée par le recours accru aux instruments financiers ne devrait pas être obérée par l’imposition aux promoteurs de projets de lourdes procédures et mesures de contrôle, telles qu’elles existent actuellement, par exemple, pour les instruments financiers de la Commission gérés par la BEI. La Commission européenne devrait, à cet égard, se montrer conciliante.

Le règlement prévoit également la contribution des États et/ou des BPN au FEIS afin d’accroitre son potentiel. La Commission a proposé d’exonérer toute contribution publique des calculs de déficits réalisés par Eurostat. Cette proposition montre une volonté d’ouverture de la Commission. Toutefois, compte tenu du dispositif de gouvernance finalement présenté, et notamment des pouvoirs dévolus au Comité directeur (« Steering Board »), qui n’incluent pas la sélection des projets, il semble que les États n’aient pas un intérêt très motivant à entrer au capital du FEIS.

La question se pose en revanche toujours pour les banques promotionnelles nationales ; mais la réponse dépend des garanties dont elles bénéficieraient. Il est en effet apparu dans le débat autour de la proposition de règlement que les BPN revendiquent d’être « pari passu » avec la BEI en cas de co-financement d’un projet éligible au Plan Juncker. Clairement, la BEI accordant des financements subordonnés, la revendication des BPN est de pouvoir disposer de la même garantie du FEIS que la BEI.  Deux options seraient ici possibles:

  • les banques promotionnelles nationales bénéficient de la part du FEIS des mêmes garanties que la BEI mais sans avoir contribué au Fonds. Dans cette hypothèse, un effet d’éviction risque de se produire au détriment de la BEI et à l’avantage des BPN sans que l’effet de levier total du FEIS soit augmenté. En d’autres termes, le FEIS subventionnerait la garantie des BPN et sa dotation risquerait d’être consommée plus rapidement.
  • les BPN participent à la dotation du FEIS et sont couvertes au « prorata» de leur participation ; le capital du FEIS étant augmenté et la force de frappe des BPN venant s’ajouter à celle de la BEI avec des produits comparables, l’effet de levier du Plan Juncker s’en trouve d’autant augmenté, pouvant même dépasser les 400 milliards ou plus. Mais ce scénario soulève trois questions :
  • d’une part, les États membres qui ne veulent pas contribuer au FEIS autoriseraient-ils des participations par les BPN ?
  • d’autre part, chaque Etat membre qui aurait investi à travers une BPN ne rechercherait-il pas un juste retour de son investissement dans le FEIS ?
  • enfin, les promoteurs de projets et les marchés auraient-ils la capacité de répondre à des volumes significativement accrus ?
  1. Déterminer toutes les possibilités de co-financement de projets éligibles au Plan Juncker

Le Plan Juncker retiendra des projets au regard de trois critères : l’intérêt européen, la rapidité d’exécution, la valeur ajoutée économique et sociale. Toutefois, les possibilités de co-financement des projets choisis ne sont pas toutes fixées :

  • la flexibilité accordée à la « clause d’investissement » par la Commission, ouvrant des possibilités de co-financement public, ne concernerait pour le moment que les pays dont le déficit se situe en dessous de 3% : sans doute faudrait-il élargir celle-ci aux pays se situant au-dessus de 3% de façon à libérer tout le potentiel d’investissement. Ce point devra être tranché en lien avec celui sur les aides d’État, que les États veulent également voir soulevé ;
  • l’éligibilité des programmes financés par le biais de fonds structurels et d’investissement au Plan Juncker : la proposition de règlement énonce clairement que les projets éligibles au Plan Juncker peuvent être financés par les fonds structurels et d’investissement européens si ces investissements rencontrent les critères d’éligibilité des FSI sollicités (article 5.4.) [25]. La réciproque devrait être vraie pour la possibilité de financement classique de la BEI en parallèle aux financements subordonnés accordés par la BEI dans le cadre du Plan Juncker.
  • l’éligibilité des projets financés par les programmes « Horizon 2020» et « Connecting Europe Facility » au Plan Juncker : cette hypothèse semble avoir été écartée par le projet de règlement et sera sans doute l’objet d’intenses discussions au Conseil comme, probablement, au Parlement européen lors du trilogue. En effet, certains projets d’infrastructures qui appellent des subventions importantes pour être finançables par l’emprunt sont dépendants de ces mécanismes, qu’il s’agisse de centres de recherche publics ou de liaisons ferroviaires, par exemple. C’est sans doute cette difficulté qui a écarté l’inscription de certains projets emblématiques (tels que le Lyon-Turin) de la liste indicative de projets, les États concernés préférant se conserver la possibilité de subventions, plutôt que l’octroi de garanties ou de financements subordonnés.
  1. Parfaire un environnement propice aux investissements choisis

Une meilleure qualité des dépenses publiques nationales peut être favorisée par le Semestre européen. Ce nouveau dispositif de contrôle et de coordination des politiques économiques pourrait néanmoins mieux valoriser l’investissement public : comme le souligne Philippe Maystadt, établir une distinction entre dépenses courantes et dépenses d’investissement éviterait que certains pays ne coupent dans leurs dépenses d’investissement dans le souci d’atteindre des objectifs de déficit ; par ailleurs, le traitement plus systématique et plus approfondi de la problématique des investissements publics dans le cycle budgétaire européen pourrait favoriser une meilleure coordination des programmes d’investissements nationaux[26].

Beaucoup de critiques ont jalonné la préparation et la présentation du Plan Juncker. Elles continueront vraisemblablement à s’exprimer au cours du trilogue. Il convient néanmoins de rappeler que cette initiative constitue une réponse rapide et concrète à un enjeu préoccupant l’ensemble des États et des parlementaires européens[27]. Ce plan d’investissement est donc aussi une démarche politique, qui ne sera vraiment réussie que si les États acceptent d’accompagner la mise en musique du dispositif, et ce dans des délais très courts, puisque le FEIS doit commencer ses activités durant le second semestre de 2015. A cette fin, ceux-ci doivent résolument favoriser la convergence de leurs politiques économiques avec les orientations et les nouveaux instruments de la Commission européenne. C’est également en partageant ce paradigme économique que l’approfondissement du marché intérieur pourra continuer autour de priorités clairement établies.

Enfin, la Commission devra présenter un plan exhaustif sur la promotion de nouvelles sources de financement à long terme de l’économie européenne. Favoriser le développement d’instruments financiers pan-européens (produits titrisés, régimes de placements privés, obligations d’entreprises, etc…) fait partie d’un agenda de court terme, comme la mise en place du régime ELTIF. Toutefois, il ne faudra pas perdre de vue, comme le rappelle Nicolas Véron, que l’Union des marchés de capitaux (UMC) devra aussi s’atteler à la question des règles comptables internationales et européennes, qui pénalisent encore l’investissement à long terme, à la supervision des chambres de compensation et au droit des faillites et à la taxation d’entreprises en Europe.

 

***

Le plan Juncker est davantage qu’un simple montage financier à effet de levier incertain. Ses trois dimensions (financements, projets, environnement d’investissement) doivent au contraire être analysées dans leur ensemble car ce sont elles qui rendent possible la catalyse de l’investissement privé au service de priorités européennes mieux partagées. Garantir le succès de l’initiative en contribuant à la mise en œuvre de toutes les dispositions prévues est essentiel à la relance de la croissance et de l’emploi en Europe[28].

[1] Voir la communication de la Commission, « Un plan d’investissement pour l’Europe », COM (2014) 903 final, 26 novembre 2014.

[2] Ce retard a été bien documenté, notamment par Valla et alii, « A new architecture for public investment in Europe », in CEPII Policy Brief n°4, juillet 2014 et repris dans la note de Marty, O., « Pour une relance de l’investissement en Europe » publiée par la Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe, n°325, septembre 2014.

[3] Les 8 milliards proviendront pour 3,3 milliards du programme « Connecting Europe Facility », pour 2,7 milliards de « Horizon 2020 », et pour 2 milliards de réallocations de crédits. Ils seront versés graduellement jusqu’en 2020.

[4] On entend par là des actions de la BEI sous forme de garanties, contre-garanties, dette senior ou subordonnée, prêts participatifs, prises de participations, mécanismes de rehaussement de crédit (du type « obligations de projet »).

[5] Ces financements en faveur des PME seront catalysés par le FEI, filiale du Groupe BEI, non seulement sur la base de certains instruments financiers qu’il a déjà en gestion de la Commission et qui ont démontré leur utilité, mais surtout sur la base de nouveaux produits qui répondent à la difficulté de financements des PME. Compte tenu de leur fort effet de levier, la cible de 75 milliards de coût de projets catalysés pourrait être atteinte entre 2015 et 2018. L’effet catalytique devrait surtout reposer sur une utilisation accrue des fonds propres du FEI.

[6] Le terme « d’intérêt européen » est en effet préféré à celui de « dimension européenne » car, pour faciliter la catalyse de l’investissement privé, les projets de toutes dimensions s’inscrivant simplement dans le cadre d’une politique européenne seront acceptés. Le principe de subsidiarité (qui excluait une intervention européenne directe sur les projets de taille nationale ou locale) semble donc effacé, sans que cela soit dit expressément dans la proposition de règlement.

[7] Voir pour un détail de la répartition sectorielle es projets l’analyse de Standard & Poor’s « Europe’s investment plan : how to spend 315 bn Euros in three years », Ratings Direct, 15 janvier 2015 et, pour une analyse de la liste présentée par la France, la tribune de l’auteur publiée par Les Échos, « Le plan Juncker est une chance pour la France ! », 15 décembre 2014.

[8] Voir à ce sujet Véron, N., « Defining Europe’s capital markets union », Bruegel Policy contribution, novembre 2014 et Marty, O., « L’Union des marchés de capitaux, quels contours, quelles priorités ? », publié par la Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe, n°335, décembre 2014.

[10] Voir Marty, O., « Quatre raisons de soutenir le plan Juncker pour l’investissement », La Tribune, 28 novembre 2014.

[11][11] Signe du soutien désormais plus nettement accordé par la Commission aux instruments financiers, le Vice-Président Katainen a confirmé que la Commission souhaitait doubler la proportion de fonds structurels placés dans des instruments d’ingénierie financière, pour la porter sur les six prochaines années à environ 28 milliards d’Euros. Par ailleurs, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 conforte et améliore leur usage, avec notamment : l’obligation pour les autorités de gestion de procéder à une évaluation ex ante; la diversification des options de mise en œuvre ou l’élargissement de leur portée à onze objectifs thématiques de programmes de l’UE.

[12] Étant donné que les instruments financiers sont remboursables, ou sont financés aux côtés de placements privés, les projets financés par leur biais doivent présenter une plus grande viabilité financière que ceux financés par des aides non remboursables. Un meilleur contrôle des ressources est également garanti par les nouvelles règles de transparence du cadre financier 2014-2020.

[13] Voir Maystadt, O., « Relancer l’investissement » publié par la Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe n° 337, décembre 2014.

[14] Le développement des instruments financiers était en effet limité par une réticence de l’autorité budgétaire européenne à les engager sur des durées longues et avec des fonds conséquents. Voir sur ce point Marty, O. « Pour une relance de l’investissement en Europe », publiée par la Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe n° 325, septembre 2014.

[15] Le règlement prévoit en effet qu’au-delà des effets du FEIS, c’est à dire en plus des 315 milliards prévus, une meilleure utilisation d’une partie des 450 milliards de Fonds structurels et d’investissements de l’UE alloués sur la programmation 2014-2020 pourrait procurer a minima 20 milliards de financements additionnels sous la forme d’instruments financiers, avec un effet de levier sur des investissements supplémentaires. La Commission ajoute qu’il conviendrait de doubler le recours qui est fait aux instruments financiers au titre des fonds structurels, mais que cela passe par une meilleure connaissance de leurs caractéristiques par les autorités publiques. C’est bien le sens du propos du Vice-Président Katainen, op cit.

[16] Voir la note de Standard & Poor’s, op cit. L’agence a raison de souligner l’importance de réussir la catalyse. Si celle-ci est insuffisante, le plan Juncker risque en effet de créer un appel à sur-engagement public soit en surconsommant des subventions des Fonds structurels, soit en faisant fortement appel à des prêts BEI complémentaires.

[17] Cette difficulté a été identifiée dans le cadre du financement de la rocade « L2 » de contournement de Marseille (A 507) : le groupe Bouygues, principal actionnaire de la société de projet en charge de cette infrastructure en PPP, avait alors refusé un  « Project Bond Credit Enhancement » proposé par la BEI car celui-ci impliquait une diminution de rendement qui ne convenait pas au prêteur, l’assureur Allianz. De fait, la BEI avait financé la contribution publique au projet avec un prêt de 155 millions.

[18] Des réflexes de « technostructures » ou une coopération imparfaite de celles-ci avec le personnel politique peuvent en effet se faire jour, notamment en France.

[19] La BEI et la CDC ont en effet signé un accord de coopération en juin 2013 pour financer des secteurs clés du développement territorial (transports durables, santé, accès au très haut débit, enseignement supérieur, efficacité énergétique des bâtiments). Par ailleurs, la BEI a conclu en septembre 2013 un accord avec bpifrance pour financer les PME à hauteur de 750 M d’Euros et mettre en place un mécanisme de garantie pour 200 M d’Euros. Ce partenariat organise entre la BEI et les deux institutions publiques françaises un partage d’objectifs, de méthodes, d’instruments et de personnel qui est typiquement escompté par le plan Juncker pour assurer la bonne catalyse de l’investissement privé. De fait, en décembre 2014, le groupe BEI et bpifrance signaient un engagement de financements subordonnés de 400 à 600 M EUR sur trois ans.

[20] Voir par exemple le dossier de l’AGEFI Hebdo, « Régulation : Bruxelles confirme son virage », in AGEFI Hebdo, 11-17 décembre 2014.

[21] Aussi, la prise en compte de la conjoncture économique pour déterminer l’effort de réduction du déficit structurel se fera pays par pays et non plus sur la base de l’évaluation de toute la zone Euro. Pour plus de détail sur ces deux aspects, voir par exemple l’article du journal Les Échos, « Austérité : l’étau européen se desserre afin de relancer l’investissement public », jeudi 15 janvier 2015.

[22] Ce point a par exemple été souligné par Mme Isabel Schnabel, membre du Conseil d’experts économiques allemand, ou M. Erik Nielsen chef économiste d’Unicredit, à l’Institut Bruegel le 12 janvier 2015.

[23] Cet agenda est aussi pertinent car l’énergie et le digital représente, respectivement, 29% et 18% des projets présentés par les États. Voir Standard & Poor’s, op cit.

[24] On peut aussi noter que cette « gouvernance renforcée » entre en contradiction avec la nécessité de prendre des décisions d’investissement rapides, ce qui souligne l’enjeu d’établir entre la gouvernance du Plan Juncker et celle de la BEI des liens gages d’efficacité (cf. infra).

[26] Voir Maystadt, P., op cit.

[27] Voir Marty, op cit, sur l’aspect politique du Plan Juncker. Souvenons-nous aussi de l’expression employée à l’Institut Bruegel le 12 janvier 2015 par M. Erik Nielsen, chef économiste d’Unicredit, qui, après avoir salué la rapidité de la Commission sur la présentation du plan a insisté: « It’s the only game in town ! ». On pourrait ajouter que se plaindre de la faiblesse de la mise de départ publique, comme l’ont fait certains États, est incohérent avec leur (grave) manque de sérieux budgétaire ou leur décision de baisser (!) le budget communautaire lors des négociations du cadre pluriannuel 2014-2020.

[28] L’OIT a par exemple estimé que le Plan Juncker pourrait créer un solde net de plus de 2,1 M d’emplois et abaisser d’un point le taux de chômage dans l’UE d’ici à 2018, à la condition que la catalyse de l’investissement privé soit réalisée comme prévu. Le gain ne serait que de 400.000 emplois si la catalyse était imparfaite (sans plus de précisions). Voir l’article de La Tribune, « Le plan Juncker pourrait créer 2,1 millions d’emplois, dit l’OIT », 28 janvier 2015.