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Résumé

Les tendances de l’investissement en Europe sont préoccupantes. Les causes en sont multiples, mais paraissent principalement liées à l’incertitude économique et à la capacité des États ou des collectivités à s’engager, financièrement et politiquement, sur des projets reposant sur des montages financiers de plus en plus complexes. Dans ce contexte, la relance de l’investissement devrait d’abord passer par l’amélioration des dispositifs publics nationaux et européens qui existent pour les PME, l’innovation et les infrastructures. C’est sur cette base que la coordination plus aboutie d’acteurs financiers publics partageant des objectifs et des instruments financiers harmonisés peut être confortée pour permettre la meilleure catalyse de l’investissement privé et atteindre les objectifs fixés par le prochain président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.


 

INTRODUCTION

L’investissement européen est en baisse depuis le début de la crise économique initiée en 2007. Il a peine à rebondir tandis que les besoins de financement sont plus pressants pour les pays périphériques et pour les petites entreprises.

Investissements publics et privés, associés de premier abord à des vues françaises et allemandes, ne doivent pas être opposés afin de favoriser la reprise de cette source essentielle de croissance. Réaliser les 300 milliards € d’investissement souhaités par Jean-Claude Juncker

[1] implique au contraire de parfaire progressivement le savoir-faire dûment mutualisé des financiers publics afin d’obtenir la meilleure catalyse de financements privés dans une perspective résolument européenne.

Cette étude rappelle dans un premier temps la conjoncture négative de l’investissement, ses causes, et ses conséquences. Elle recense ensuite les dispositifs publics de soutien en faveur des PME, de l’innovation, et des infrastructures. Elle propose enfin d’améliorer davantage le partage des objectifs et des instruments des investisseurs publics et des mesures relatives à la BEI.

I – L’INVESTISSEMENT PUBLIC ET PRIVÉ EN EUROPE : UNE TRAJECTOIRE TRÈS PRÉOCCUPANTE RISQUANT D’AFFAIBLIR LA CROISSANCE DE L’UNION ET LA STABILITÉ DE LA ZONE EURO.

  1. L’investissement européen a beaucoup chuté et peine à rebondir

Comme l’a récemment indiqué Philippe Maystadt [2], l’investissement européen est sur une tendance préoccupante. La chute de l’investissement en capital fixe dans l’Union européenne depuis le début de la crise est telle que sa moyenne est encore 17% plus bas qu’en 2007. Il n’y a pas de perspective haussière à ce niveau général, et la baisse est plus forte dans les pays périphériques, qui ont décroché de la tendance moyenne en 2009 et affichent, début 2013, un niveau 42% plus bas que celui de 2007.

La chute de l’investissement en Europe depuis 2008 est deux fois plus prononcée qu’aux Etats-Unis et qu’au Japon. Elle a aussi été plus rapide que la chute du PIB entre 2008 et 2009, affaiblissant ainsi le lien normal entre l’activité et l’investissement. De plus, ce décrochage semble durable, car la moyenne annuelle du niveau d’investissement en termes de PIB depuis le début de la crise est légèrement inférieure à celle des quinze ans précédents.

Ces tendances sont particulièrement inquiétantes dans la zone euro, tant au niveau de l’investissement privé que public.

Comme l’indique Natacha Valla [3], si la chute de l’investissement privé a été moins prononcée dans la zone euro qu’aux États- Unis entre la fin 2007 et le début de 2009, le rebond y est beaucoup plus faible. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro est, début 2014, de 15 points d’indice inférieur à celui de 2007 et il ne représente plus que 19% du PIB de la zone euro contre 25% aux Etats-Unis.

Le volume de l’investissement public dans la zone euro est, en 2013, deux fois inférieur à celui des États-Unis (2% de PIB contre 4% de PIB) [4]. Sa baisse date, comme celle d’autres pays industrialisés, depuis plus longtemps : en 35 ans, il a été divisé par deux. Le dernier épisode baissier est lié à la crise de 2008 lorsque certains pays, particulièrement en périphérie, ont dû effectuer des consolidations budgétaires rapides et, in fine, disproportionnées.

  1. L’incertitude économique et la capacité des États à s’engager : obstacles importants

Il y a plusieurs causes à la baisse de l’investissement en Europe [5] :

  • un « effet de base » (ou retour à un niveau « normal ») dans certains pays périphériques ayant trop investi dans certains secteurs par le passé,
  • la baisse du taux de retour des projets, qui peut être due par exemple à une surconsommation de capital,
  • la baisse des flux de capitaux transfrontaliers impliquant un retour à des financements d’origine domestique,
  • les contraintes règlementaires des banques (Bâle III) les conduisant à réduire leurs actifs pondérés par le risque, particulièrement sur les PME, l’innovation, et les pays périphériques,
  • le cloisonnement du marché intérieur restreignant les débouchés commerciaux des entreprises européennes mais aussi les capacités d’investissement privé et public [6].

Toutefois, il apparaît que l’incertitude économique est probablement la plus grande cause de la chute, puis de l’absence de reprise de l’investissement. Celle-ci a d’abord été liée à l’évolution de l’économie mondiale, puis à celle de la gestion de la crise de la zone euro. Elle concerne actuellement la réduction des divergences macroéconomiques entre États membres avec, dans plusieurs cas, des inquiétudes émises sur la crédibilité des politiques économiques et l’instabilité de cadres règlementaires et fiscaux désincitatifs, contradictoires et instables.

La trajectoire de la France, pays dont l’économie est intermédiaire, tant dans sa structure que dans sa conjoncture, entre le Nord et le Sud, est à cet égard très importante tant sur le plan économique que politique [7].

Dans ce contexte, la capacité des États et des collectivités locales, à s’engager financièrement sur des projets d’investissement, à mobiliser les administrations concernées, à porter un engagement politique, est déterminante. Leur capacité à identifier des besoins d’investissements puis des financements privés et à se coordonner avec les investisseurs publics, nationaux ou européens, devient essentielle pour fédérer la décision d’investir et mobiliser les ressources du secteur privé dans des montages plus complexes même dans un contexte de faible taux d’intérêt.

  1. La baisse de l’investissement public comporte un risque pour la catalyse de l’investissement privé

La baisse de l’investissement public (capital humain, infrastructures, R&D) a des conséquences négatives sur la croissance

potentielle. Elle diminue aussi ses effets de catalyse sur l’investissement privé. A titre d’exemple, les investissements de la Banque européenne d’investissement (BEI) fournissent un effet de levier de 2,5 à 3 sur l’investissement privé [8]. Natacha Valla confirme par ailleurs qu’une augmentation de l’investissement public dans la zone euro conduit à une hausse continue de la production et du stock de capital de l’économie d’autant plus forte que le stock de capital public est initialement élevé [9].

La baisse de l’investissement privé est également préoccupante, particulièrement à court terme. Elle peut conduire à ce que les stocks de capital baissent et restent durablement faibles. L’obsolescence naturelle du capital privé n’est pas compensée et les progrès technologiques ne sont pas bien diffusés. La chaîne de production en est perturbée et la productivité baisse. La croissance potentielle peut être affectée, de même que l’emploi.

II – LA RELANCE DE L’INVESTISSEMENT EN EUROPE PASSE D’ABORD PAR UNE AMÉLIORATION DES DISPOSITIFS DE SOUTIEN PUBLIC EXISTANTS

  1. Ramener l’investisseur privé vers le financement à long terme de l’économie

Une des particularités de l’économie européenne est que les pays membres font face à des contraintes importantes de finances publiques alors que l’épargne privée est abondante (16.000 milliards € dans l’Union européenne) et placée majoritairement (40%) sur le court terme et souvent hors de l’Union. L’efficacité de toute mesure de relance de l’investissement doit donc être jugée à sa capacité à ramener l’investisseur privé sur le financement de l’économie à long terme.

Dans ce contexte, l’investissement public ne consiste plus à rendre disponible la plus grande enveloppe financière possible dans une logique de subvention propre aux impératifs politiques, mais bien à catalyser l’investissement privé dans une logique de partage de risques. Les investisseurs publics le font par nature, lorsqu’ils lèvent des fonds sur les marchés des capitaux (BEI) ou lorsqu’ils se voient confier une partie des fonds d’épargne (Caisse des Dépôts et Consignations) [10]. Ils peuvent le faire aussi en utilisant des instruments plus sophistiqués.

  1. Agir en faveur des PME, de l’innovation, et des infrastructures

Les PME sont de première importance pour la croissance et l’emploi (peu ou pas du tout délocalisables) en Europe [11]. L’intermédiation bancaire représente 80% de leurs financements dans l’Union européenne, ce qui reflète une philosophie économique très heureuse et propre à l’Europe continentale. L’apport de fonds propres par le capital-investissement ne représente que 7% des besoins de financement. Ainsi, les PME sont d’autant plus ouvertes à des prêts qu’elles sont réticentes à ouvrir leur capital [12].

Les contraintes des banques sont un aspect du problème de financement des PME. Toutefois, l’instabilité des normes fiscales et règlementaires a des effets réels amplifiés par la défiance qu’ils instillent dans l’activité des entrepreneurs. Dans ce contexte, il est capital de veiller à conserver des règles incitatives et stables complétées par un horizon de politique économique crédible. Les mesures d’aide en faveur des prêts ou du capital-investissement s’inscrivent dans ce cadre général.

La microfinance peut jouer un rôle dans le développement et l’inclusion financière de très petites entreprises, généralement individuelles, tout comme dans l’économie sociale et solidaire (ESS). A l’instar des garanties de prêts et du capital-investissement, elles font l’objet de soutiens publics nationaux et européens par le biais de la BEI et du FEI comme de la Commission [13]. Toutefois, leur volume d’investissement est, par nature, très faible et destiné à financer des projets contenant une valeur ajoutée sociale plus qu’économique.

L’innovation est le deuxième domaine ou l’investissement est capital. Elle favorise la montée en gamme technologique, la productivité du travail et du capital, le développement de réseaux. Comme l’indique l’ancien Président de la BEI [14], son financement est rendu difficile par le risque inhérent à l’activité et par la difficulté de jugement des prêteurs. A l’heure actuelle, l’incertitude économique et règlementaire et l’approche de court terme des acteurs financiers est un problème.

Les infrastructures de réseaux représentent la plus grande part des besoins d’investissements. Les montants à mobiliser dans l’Union européenne seraient d’un trillion € jusqu’en 2020 pour les réseaux de transport, d’énergie, de télécoms, et de 1,6 trillion € si l’on y ajoute la gestion des déchets, de l’eau, et le secteur de la santé. Un trillion additionnel peut être consacré à l’efficacité énergétique.

Compte tenu des contraintes sur les finances publiques et de l’importance de ces investissements pour la modernisation de notre économie, l’essentiel de cet effort sera porté par le privé tant pour sa réalisation que pour son financement. Or leur financement, de long terme, est obéré par le tarissement des prêts des banques sur le long terme ainsi que par l’éloignement du marché des assureurs monolines [15]. Enfin, il convient également d’oeuvrer à une plus grande influence européenne dans l’élaboration des normes comptables afin de mieux prendre en compte la rentabilité de long terme des investissements [16].

  1. Les dispositifs de soutien publics existant peuvent toujours être améliorés

Le financement des PME peut d’abord être favorisé par des mécanismes publics de refinancement bancaire, de garanties de prêts ou de participation dans des fonds d’investissement. La BEI apporte ainsi plus de 20% de ses prêts annuels (18,5 milliards € en 2013) aux PME et le FEI y consacre 100% de ses activités (3,4 milliards € en 2013 sous forme de prise de participations dans des fonds de capital-investissement et de garanties). Ensemble, les deux institutions ont ainsi mobilisé 53 milliards € de financement avec le concours de plus de 700 intermédiaires [17]. La palette des instruments financiers à cette fin se diversifie continûment.

L’effet de levier des dispositifs spécifiques de soutien varie. Ceux du FEI, en 2013, sont par exemple les suivants :

  • Pour 7,9 milliards € d’encours en fonds propres (capital-investissement), les participations du FEI catalysent 42 milliards €,
  • Pour 8,6 milliards € de garanties de prêts, les fonds publics catalysent 36,8 milliards €,
  • Pour 200 millions de financements d’entreprises de microfinance, les fonds publics catalysent 466 millions €.

Au niveau des fonds propres, le capital-investissement européen doit, en plus des activités de fonds propres des investisseurs publics européens et nationaux [18], bénéficier d’une législation favorisant les investissements transfrontaliers. C’est désormais possible avec le « passeport européen » visant à faciliter les investissements des fonds dans tous les pays de l’Union européenne, adopté au printemps 2014. Toutefois, les cadres règlementaires et fiscaux nationaux doivent également être incitatifs, ce qui est loin d’être le cas partout, notamment en France [19].

La titrisation de portefeuilles de prêts aux PME est une initiative sur laquelle se sont penchées la BEI puis la BCE dès 2013. L’idée consiste à titriser des petits portefeuilles de prêts bancaires ne suscitant traditionnellement pas l’intérêt des investisseurs institutionnels et ainsi à libérer du capital règlementaire (et donc les prêts) des banques. La place que peut prendre la BCE dans cette opération est questionnée, au regard des risques qu’elle porterait et de la place des États se portant éventuellement garants dans le dispositif [20].

En attendant que ces réflexions aboutissent, la BEI et le FEI se sont entendus en juillet 2014 pour mettre en place un mécanisme de réhaussement de crédit sur des opérations de titrisation de portefeuilles ABS. Cet instrument dédié est le premier d’une série placée dans le nouveau mandat de réhaussement de crédit (EREM) de la Banque. Une première estimation laisse présager que le mécanisme pourrait soutenir 13 opérations représentant une levée de fonds proche de 1 milliard €.

Une solution nouvelle émise par Gilles Moëc, chef économiste Europe de la Deutsche Bank, consisterait à mettre en place une nouvelle structure de financement des entreprises gérée par la CDC française et la KfW allemande. Les deux investisseurs publics couvriraient la première perte en cas de défaut (10 ou 20% de l’ensemble des prêts financés). Des investisseurs institutionnels ajouteraient leur participation au passif de cette structure, puis les banques, et enfin la BCE [21].

Cette proposition paraît efficace et importante sur le plan politique : elle confirme l’importance des mécanismes de partage public-privé des risques, elle ne comporterait un coût pour les finances publiques que via la baisse des dividendes versés par les investisseurs publics, elle fournit un relais efficace au stimulus monétaire de la BCE, elle est un terrain d’entente pragmatique pour la France et l’Allemagne, confortant le partage d’objectifs entre investisseurs privés et publics et pouvoir politique.

L’investissement en infrastructures peut être favorisé par les investisseurs publics nationaux et européens, qui ont un effet déterminant sur la mobilisation des investisseurs institutionnels et bancaires. L’appui aux partenariats public-privés (PPP), par le développement de produits financiers de partage de risques (dettes subordonnées, prêts participatifs, préfinancement de fonds propres, garanties ou rehaussement de crédit pour des émissions obligataires) est également nécessaire [22].

III – PARFAIRE PROGRESSIVEMENT UNE PLUS GRANDE COORDINATION DES INVESTISSEURS PUBLICS NATIONAUX ET EUROPÉENS

  1. Faut-il créer un nouveau fonds d’investissement européen de long terme ?

Parmi les propositions émises par France Stratégie pour une nouvelle stratégie française en Europe [23] figure celle de créer un fonds d’investissement de long terme, développée par la suite par le Centre d’Études et de Prospective d’Informations internationales (CEPII) [24]. L’idée consiste à placer un « fonds fédéral » au coeur d’un « Système européen de banques d’investissement publiques » (SEBI) semblable à celui propre à la politique monétaire afin d’orienter l’abondante épargne européenne vers des priorités de croissance de long terme, d’emploi, et de bien-être dans l’ensemble de l’Union.

Le fonds fédéral serait placé au coeur d’une Banque européenne d’investissement restructurée pour avoir une action à la fois plus ample et plus contra-cyclique. Il serait doté à hauteur d’environ 2% du PIB de la zone euro par des ressources publiques et à hauteur d’environ 2% par des investisseurs privés (institutionnels, fonds de dette, de capital-investissement, voire « business angels » et entreprises) pour atteindre un capital de 4% du PIB de la zone euro, soit environ 383 milliards €.

Le fonds émettrait de la dette auprès de la communauté financière internationale pour atteindre un bilan de 10% du PIB de la zone euro, soit environ 950 milliards € (le double de la BEI), et investirait surtout en fonds propres dans des projets mieux identifiés et financés par le concours du secteur privé.

Cette proposition comporte plusieurs aspects positifs :

  • Elle favorise un consensus entre Etats membres sur la nécessité d’une relance de l’investissement plutôt que de la dépense publique [25] et invite à mieux distinguer les deux [26],
  • Elle met l’accent sur la nécessité de mobiliser une épargne européenne abondante, parfois utilisée de façon improductive, vers le financement de l’économie,
  • Elle souligne le rôle des investisseurs publics de long terme, particulièrement depuis 2008 [27], leurs initiatives communes, et leur effet de catalyse sur les investisseurs privés,
  • Elle invite à créer des investisseurs publics dans les pays de l’Union européenne qui n’en ont pas, à améliorer ceux qui existent, voire à harmoniser leurs gouvernances et leurs ressources,
  • Elle souligne le manque de prise de risque de la BEI, qui se caractérise par la gestion de produits financiers trop petits et trop peu durables,
  • Elle relaye l’idée, émise par la France, de créer un produit d’épargne européen à même de financer des projets européens [28],
  • Elle insiste sur la nécessité d’élargir et d’améliorer les dispositifs de conditionnalité en voulant associer aux financements du fonds des exigences en matière de réformes structurelles,
  • Elle mentionne l’utilité de mandats d’investissement confiés de façon plus démocratique aux investisseurs publics, faisant écho aux propositions pour un Parlement de la zone euro [29].

Le projet soulève néanmoins certaines interrogations :

  • La provenance des ressources publiques au capital n’est pas clairement définie : le surplus d’investissement public escompté ou les contributions d’États, d’institutions européennes ou d’investisseurs publics nationaux sont évoqués. Les contributions d’États peuvent être sérieusement questionnées [30],
  • Sans remettre en cause la plus grande capacité d’emprunt envisagée, la capacité des États et des collectivités à contribuer à des projets, en fonds propres ou en prêts, à hauteur de 10 points de PIB est douteuse,
  • La présence d’investisseurs privés au conseil du fonds ne permettrait vraisemblablement pas une meilleure identification des projets d’investissement, qui est effectuée au niveau des États, collectivités et entreprises [31],
  • La concordance des investissements choisis (par un conseil très voire trop large) avec des priorités européennes dûment partagées par les États et leurs bras financiers publics pourrait être mise en cause,
  • Les domaines d’investissement du nouveau système (énergie, capital humain, infrastructures, numérique) sont déjà couverts par la BEI,
  • Le poids politique, comme la capacité d’arbitrage de la BEI dans le choix des projets d’investissement, pourraient être affectés par des dissensions nouvelles entre actionnaires,
  • La pertinence de confier des missions de conditionnalité à un fonds ou à la BEI en parallèle d’activités de financement de l’économie n’est pas établie [32].
  1. Renforcer le partage d’objectifs et d’instruments communs aux investisseurs publics nationaux et européens

Les dispositifs de soutien public à l’investissement évoqués démontrent que l’Union européenne est en train d’opérer une transition d’une « culture de la subvention » à une « culture du financement de l’économie ».

Cette transition bienvenue est relayée par trois vecteurs :

  • une meilleure complémentarité des acteurs financiers aux niveaux locaux, nationaux et européens,
  • une convergence des politiques structurelles nationales et européennes en matière économique [33],
  • une complémentarité renforcée des outils budgétaires et de prêt au niveau local et européen [34].

Cette transition trouve des traductions très concrètes dans l’action de la BEI et du FEI, deux institutions ayant été recapitalisées récemment [35]. 8,1 milliards € du budget communautaire (un montant en hausse) ont ainsi été dégagés dans les perspectives financières 2014-2020 afin de mettre une série d’instruments financiers de partage des risques (de fonds propres ou de capital-risque, de garanties, ou autres, éventuellement combinés) au service de trois objectifs : les PME (50% de la dotation) ; l’innovation (25%) ; les infrastructures stratégiques (25%).

Ainsi, les responsabilités de la BEI dans la promotion et la gestion d’instruments de levier financier sont amenées à augmenter, de même que ses activités de conseil. Le programme Horizon 2020, qui inclut l’instrument financier ayant eu le plus de succès (RSFF) [36], fera par exemple l’objet du plus grand nombre d’opérations de conseil au profit de la recherche et du développement européens. En matière d’infrastructure, la facilité « Connecting Europe » promeut le développement de garanties (LGTT) et de « Project bonds » pour les infrastructures de réseaux européens.

Une initiative commune de la Commission et de la BEI devrait fournir une assistance particulière aux États membres sur les aspects opérationnels et méthodologiques, ainsi que financiers, de la mise en oeuvre d’instruments financiers décentralisés. De telles coopérations sont déjà à l’oeuvre dans certains pays, dont par exemple la France, où la BEI a signé des partenariats stratégiques avec la Banque publique d’investissement (BPI) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui permettent d’organiser la complémentarité de leurs produits financiers respectifs et des ressources de subventions européennes et nationales [37]. Elle l’est aussi lorsque le FEI recycle des fonds structurels dans les fonds « Jérémie », redéployant ainsi des ressources au service de PME.

L’existence d’investisseurs publics nationaux agissant comme interfaces de l’action de la BEI et du Fonds européen d’investissement est essentielle à la réussite de cette politique. En effet, leur connaissance des instruments européens proposés, le développement d’instruments nationaux qui les prolongent, la confiance entretenue par toutes les équipes concernées, leur proximité avec les bénéficiaires finaux (collectivités ou entreprises) se révèlent déterminants pour assurer l’effet de levier et l’appropriation des moyens financiers européens. Ce réseau doit être conforté, élargi, amélioré au quotidien avant d’envisager de nouvelles solutions institutionnelles.

C’est bien ce qu’ont souhaité les ministres allemand et français des Finances, pour qui la BEI est une institution essentielle, au dernier ECOFIN de Milan les 12 et 13 septembre [38].

C’est aussi en bénéficiant de telles synergies que l’Union pourra converger vers la cible de 300 milliards € d’investissements souhaitée par Jean- Claude Juncker. La BEI est sans doute à même de conserver un volume de prêts de l’ordre de 65 à 70 milliards € annuels, mais ne peut à l’heure actuelle mobiliser autant de fonds privés. Cibler 300 milliards € annuels signifierait pour elle d’augmenter son volume d’activité à un minimum de 75 milliards € annuels dans la seule Union, ce qui pose la question de l’augmentation de son capital et de nouveaux instruments de partage de risques.

  1. Inciter la BEI à être encore plus innovante et à prendre plus de risques

La BEI doit être en mesure de soutenir encore davantage la modernisation industrielle et la part d’investissements en RD/RDI dans le PIB des États membres. Dans cette perspective, il paraît souhaitable que « la banque de l’Union » puisse progressivement se voir confier des instruments financiers nouveaux, si possible plus larges, plus durables et plus compréhensibles tant par les opérateurs financiers que par les bénéficiaires finaux voire le grand public.

La dynamique actuelle, très positive, est en effet gênée par deux difficultés :

  • d’une part, la réticence de l’autorité budgétaire européenne à investir d’importantes ressources au profit d’instruments techniques répondant à des demandes des marchés financiers,
  • d’autre part, la faiblesse des moyens financiers disponibles qui pousse le Conseil à ne pas s’engager sur des montants importants et des durées longues.

Surmonter ces obstacles implique de poursuivre un dialogue toujours plus étroit entre la Commission et la BEI ainsi qu’entre la BEI, les investisseurs nationaux et les États membres afin de partager les succès des dispositifs existants et d’oeuvrer à la résolution de leurs difficultés techniques. Ainsi, les bonnes pratiques deviendront-elles plus habituelles aux services de la Commission et aux administrations nationales, et le partage des objectifs et des méthodes de mise en oeuvre des investissements sera mieux assuré au niveau des politiques européennes et nationales.

Dans un contexte plus large, la relance d’une politique industrielle plus offensive et véritablement européenne peut, selon Pierre Moscovici [40], faire l’objet d’un consensus incluant le Royaume-Uni dès lors que celle-ci serait couplée adéquatement avec la politique commerciale, la concurrence, et du marché intérieur. Ce point fait partiellement écho aux mandats extérieurs de l’Union européenne et, partant, des activités hors-UE de la BEI, qui pourrait développer et/ou améliorer sa politique de soutien au financement de l’export et de soutien aux IDE. Enfin, avant une éventuelle nouvelle réforme du Pacte de stabilité et de croissance [41], l’application pratique des règles budgétaires européennes pourrait être modifiée à la marge [42].

CONCLUSION

L’investissement européen a chuté de manière préoccupante depuis le début de la crise et peine à rebondir. L’incertitude, liée tant à la situation macroéconomique de la zone euro qu’à la multiplication de règlementations, accentue la difficulté des États à s’engager sur des projets structurants et complexes. La nécessité de sauvegarder voire d’augmenter des investissements publics conçus de façon à assurer la meilleure catalyse de l’investissement privé est pourtant essentielle. Ces deux sources d’investissement ne peuvent être opposées : leur mutualisation à l’oeuvre est au contraire nécessaire et à même de renforcer le consensus franco-allemand sur la mobilisation de la BEI Le partage par l’ensemble des investisseurs publics et privés de ressources et d’instruments harmonisés et pérennisés promeut ainsi une culture commune du financement de l’économie qui doit être confortée.