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(Tribune parue dans Les Échos, le 1er octobre 2015)

Les récents tumultes de l’économie chinoise ne doivent pas nous faire perdre de vue que les nations qui réussissent dans la mondialisation sont généralement mues par un projet collectif de long terme qui incarne des références partagées. Le premier est gage de progrès pour chacun et de justice sociale alors que les secondes favorisent l’unité et la coopération de la population. A cette aune, il est difficilement compréhensible que la France continue de se singulariser par de profondes tensions politiques, sociales et civiles, qui alimentent une vie démocratique peu sereine, guère efficace, et encore trop déconnectée des réalités internationales.

La solution aux problèmes français relève pourtant d’abord de notre état d’esprit. Au préalable, le projet européen devrait réapparaitre comme notre dessein collectif. En effet, les multiples ampliations de la crise mondiale ont démontré à plusieurs reprises que l’Europe était l’échelon politique pertinent pour répondre aux enjeux de long terme auxquels nos sociétés sont confrontées (gouvernance économique, changement climatique, maîtrise du numérique, développement, migrations et guerres). Notre continent est aussi l’espace naturel où nous pouvons exprimer notre art de vivre, nos nombreux atouts et nos valeurs, comme la question de l’accueil des migrants nous y invite.

La collectivité française devrait ensuite prendre mieux conscience des enjeux qui la concernent vraiment, c’est à dire en faire le tri. Notre vie intellectuelle bouillonnante nous fait trop souvent négliger que les réformes pressantes ne sont pas idéologiques mais de nature économique, éducative et administrative. Elles sont assez largement consensuelles mais nécessitent un soutien politique et civil large. Plus encore, notre capacité à faire front uni sur les contours de nos réformes, en particulier dans le champ européen, constitue le terreau fertile de notre crédibilité extérieure. En prendre soin disposerait nos partenaires à mieux comprendre nos idées si singulières et à engager avec nous des coopérations plus durables.

Une fois ces enjeux identifiés, l’élite de notre pays devrait construire une convergence sur les solutions, c’est à dire sur les politiques publiques innovantes, éclairées des expériences étrangères, et résolument prospectives qu’elle appréhende déjà. Nous devons par exemple beaucoup aux hauts fonctionnaires, français ou européens, qui ont élaboré des solutions aux crises bancaires et souveraines et engagé l’approfondissement de la zone Euro. Toutefois, ces recettes peuvent être encore mieux transmises par les figures intellectuelles, médiatiques, ou sociales françaises. Celles-ci devraient organiser leur coopération dans un esprit de confiance renouvelée pour atteindre des objectifs plus collectifs qu’individuels.

Enfin, la fonction politique, que les réseaux sociaux ou les expertises diverses ne remplaceront heureusement jamais, doit mieux débattre et légitimer ces mesures. Osons écrire que cela nécessite une maîtrise approfondie et coordonnée de quelques dossiers clés, une rigueur intellectuelle, une éthique personnelle et une ouverture d’esprit qui lui font encore défaut. Pour les aider à mieux traverser la crise profonde qu’ils endurent aux yeux des citoyens, nos élus auraient aussi intérêt à donner corps aux idées mûries par la société civile. Il découlerait de ces inflexions un rapport assaini avec la fonction publique, les médias, et l’opinion.

La réforme du Code du travail illustre l’utilité de procéder en trois étapes : prise de conscience de l’opinion, élaboration de solutions par de grandes voix, milieu politique qui assume de s’emparer du sujet. Pour réussir, la France n’a pas tellement besoin de recettes administratives ou d’idéologie: il lui faut un projet, un sursaut civique, et de la rigueur.

Olivier Marty, enseigne les institutions européennes à SciencesPo