Dans un article récent, publié dans le très riche Rapport sur l’État de l’Union de la Fondation Robert Schuman, Pascal Perrineau indique que « les Européens s’éloignent doucement (au printemps 2014) de l’état de dépression collective qui avait pu les saisir de l’automne 2008 au printemps 2013 ». Plus précisément, le politologue identifie que les opinions des pays de l’Union européenne ont, en moyenne, une meilleure appréciation de l’état de leurs économies et de meilleures anticipations de l’avenir, mais que la crise de défiance à l’égard des institutions politiques, tant au niveau national qu’au niveau européen, perdure bel et bien. L’auteur confirme que la désaffection à l’égard de l’Union européenne et de ses institutions est d’avantage due au mode de fonctionnement de celles-ci et à leurs dirigeants qu’aux principes qui les fondent.

Alors que la crise initiée en 2008 a démontré plus d’une fois que l’échelon européen était plus pertinent que le niveau national ou local pour résoudre les problèmes économiques et sociaux rencontrés depuis sept ans, comment le projet et les institutions communautaires peuvent-ils regagner la confiance des opinions ? Quatre objectifs semblent aujourd’hui prioritaires.

Le premier consiste à confirmer l’essai réalisé par la nouvelle Commission depuis son entrée en fonction. Quoiqu’en disent de nombreux esprits chagrins, la nomination de Jean-Claude Juncker a représenté un progrès démocratique, de même que s’est révélé ingénieux le choix de Commissaires à des postes où leur pays d’origine les prédisposait moins. L’exécutif européen a, par ailleurs, déjà répondu à une partie des grandes attentes placées en lui : les flexibilités du Pacte de stabilité ont été utilisées, le « plan Juncker » de relance de l’investissement et la communication sur l’optimisation fiscale ont été proposés dans un délai très court, l’agenda législatif a été considérablement simplifié et recentré sur des enjeux stratégiques et concrets pour les citoyens. Les nouveaux membres du collège répondent à la critique justifiée sur « l’éloignement de Bruxelles » en allant plus sur le terrain, comme en atteste la récente tournée du Vice-Président de la Commission, M. Katainen, en France.

Le deuxième consiste à tirer pleinement profit de l’amélioration du cadre de politique économique mis en œuvre par les institutions et les États. Si le dernier plan d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne pourrait ne pas avoir tous les effets escomptés sur la croissance, il est en mesure de conforter la confiance des agents économiques. Le « plan Juncker » de relance de l’investissement peut, par un usage stratégique de fonds publics limités, catalyser 315 milliards d’Euros de ressources et ainsi engager une modernisation du financement des économies européennes. La Commission ouvre également, avec l’Europe de l’énergie et du digital, des chantiers susceptibles de libérer la faible croissance de l’Union. Le rythme de consolidation budgétaire des Etats n’est, enfin, plus susceptible de freiner la reprise, même s’il devrait s’accompagner de réformes structurelles plus nettes et mieux coordonnées.

En troisième lieu, nos dirigeants politiques devraient démontrer qu’ils se réapproprient le sens de la construction communautaire au lieu de cultiver le repli fantasmé sur le champ national qui expose d’abord les populations les plus fragiles. Plusieurs capitales européennes, et singulièrement la France, ne peuvent en effet plus renier les engagements qu’elles ont elles mêmes pris à l’égard de Bruxelles et se défausser sur l’Union de leurs propres lacunes. Ceci implique de conforter la crédibilité des politiques économiques, comme s’y attelle courageusement le Premier ministre français, et de tenir l’opinion informée de façon honnête et régulière des enjeux européens. Mais au delà, il convient que les dirigeants et leurs administrations élaborent dans les négociations des positions plus consensuelles et tissent entre eux des relations plus confiantes et plus durables. Ainsi serait mieux comblé le « déficit démocratique » dont souffre l’Union au plan national plus qu’européen !

Enfin, il est urgent que l’Europe se voit à nouveau confier un projet à même de débloquer les failles de sa gouvernance et d’ancrer tant la coopération des Etats que la confiance des acteurs économiques et sociaux. Les lourdeurs bureaucratiques des institutions communautaires, justement décriées par les opinions, découlent en effet souvent des carences de « leadership » qu’elles subissent. Ce qui a été observé dans les premiers épisodes de gestion de la crise, lorsque la Commission Barroso prenait appui sur une lecture orthodoxe du Traité en contrepoint des égoïsmes nationaux, ne doit pas se reproduire aujourd’hui dans le projet de relance de l’investissement entre les Etats et la Banque européenne d’investissement. L’emploi des jeunes est un chantier pour lequel des solutions ont été établies et qui peut faire la preuve que l’Europe apporte des résultats tangibles. Au delà, le parachèvement de la zone Euro devrait s’imposer progressivement comme une façon de réaffirmer les valeurs politiques et sociales de ses membres.

L’Union européenne traverse depuis de nombreuses années une crise profonde qui fait douter les opinions sans que celles-ci soient amenés à en rejeter les fondements. Il est essentiel qu’elle parvienne à en sortir par une coopération constructive des États, des institutions, et des personnels politiques pour faire face aux défis d’un monde durablement globalisé.

 

Olivier Marty, maître de conférences en macroéconomie européenne à l’ESSEC