LE CERCLE/POINT DE VUE – Le cadre financier du budget européen pour 2021-2027 mérite d’être défendu, car il fixe des priorités qui paraissent adaptées en ligne avec les défis actuels, et il met les Etats face à leurs responsabilités.

La Commission européenne a présenté, au début du mois,  ses propositions pour le futur « cadre financier pluriannuel » de l’Union européenne sur la période 2021-2027. Ce faisant, elle oriente utilement les négociations, traditionnellement difficiles, des capitales et éclaire les choix des électeurs dans la perspective des élections de 2019. Quatre raisons de soutenir cette ébauche de budget se dégagent.

Celle-ci est d’abord la manifestation d’une ambition européenne assumée. En choisissant de présenter une enveloppe d’un volume important, équivalant à 1,11 % du RNB des Etats membres (soit près de 1.300 milliards d’euros), la Commission évite, dans un habile mouvement de pivot, que l’ardoise laissée par les Britanniques (quelque 13 milliards d’euros annuels) ne soit le sujet principal de la négociation. Surtout, les nouvelles priorités budgétaires déterminées, assorties de montants en hausse (protection des frontières, défense, numérique, jeunesse, recherche), sont bien en ligne avec les défis actuels de l’Union et susceptibles d’être comprises par le grand public, qui perçoit la valeur ajoutée de l’UE dans certains domaines essentiels.

Les moyens de nos ambitions

La Commission continue, ensuite,  de mettre les Etats devant leurs responsabilités . D’abord, parce que tous sont au défi de soutenir des priorités européennes nouvelles en acceptant des contributions budgétaires accrues et/ou en voyant les politiques historiques de l’Union (PAC, fonds de cohésion) amputées. L’idéal serait bien de verser plus au budget tout en acceptant une allocation pragmatique des fonds. Ensuite, parce que les capitales ne peuvent pas prétendre vouloir « plus d’Europe » dans certains domaines, en particulier régaliens, tout en refusant d’en assumer la communautarisation (politique migratoire, par exemple). Ce budget est bien celui d’une Europe souveraine : il nous donne les moyens de nos ambitions et nous invite à les assumer !

Le levier budgétaire est également opportun pour traiter des problèmes d’Etat de droit. En conditionnant le versement d’aides européennes à son respect et en prévoyant, par ailleurs, des coupes dans les fonds de cohésion, Bruxelles exerce une pression importante  sur la Pologne ou la Hongrie , quand bien même celles-ci ne sont pas explicitement visées. Certes, l’exercice de la conditionnalité sera difficile et pourra être à double tranchant, politique pour l’UE et économique pour les entreprises adjudicatrices des contrats passés grâce aux fonds structurels ; mais il est susceptible de faire suffisamment mal pour être efficace, surtout s’il repose, comme cela est proposé, sur un mécanisme de décision facilitée.

Créativité financière

Enfin, l’Europe continue de faire preuve, avec ce budget, de créativité financière. La Commission propose par exemple d’amplifier les mécanismes dits de « blending », qui prévoient d’utiliser des fonds communautaires à des fins d’investissement pour un plus grand effet, comme l’illustre avec succès le « plan Juncker ». Aussi, l’exécutif a raison d’en appeler toujours au développement de nouvelles ressources propres (taxe carbone ou sur le plastique, taxe sur les géants du numérique) qui seraient susceptibles de fragiliser la logique du « juste retour » et illustreraient l’exemplarité européenne dans beaucoup de domaines, tant au plan interne que vis-à-vis de nos partenaires étrangers.

Au total, la proposition de budget européen est suffisamment pragmatique pour faire la preuve que l’Europe répond aux attentes des citoyens, utilement coercitive pour garantir la cohésion de l’Union et convenablement ambitieuse pour inviter les Etats à dépasser leurs divisions.

Olivier Marty enseigne les institutions et l’économie européennes à Sciences Po et à HEC. Il a publié récemment, avec Nicolas Dorgeret, « Connaître et comprendre l’Union européenne » (Ellipses, 2018).

Olivier Marty
Article publié initialement sur lesechos.fr le 14/05/2018