Alors que l’Union économique et monétaire a une nouvelle fois manqué d’imploser à l’été 2015, lors du dernier épisode de la crise grecque, l’euro en tant que monnaie suscite toujours la confiance des peuples, des entreprises et des investisseurs. Pour mettre un terme à ce paradoxe, les États membres et les institutions européennes se sont engagés à approfondir la zone euro. Ce projet aura-t-il aussi comme effet positif de renforcer le rôle international, et donc le poids politique, de l’euro ?

La monnaie unique connaît un destin paradoxal. Les autorités européennes ont dû, à plusieurs reprises depuis 2008-2009, éviter une implosion de l’Union économique et monétaire (UEM) et faire face aux carences de sa gouvernance et de ses institutions. Dans le même temps, quatre pays ont rejoint la zone euro depuis 2008 et la confiance placée dans la monnaie unique, tant sur les marchés européens et internationaux que dans les opinions, demeure élevée.

Ainsi, l’euro a non seulement survécu aux fortes convulsions financières mondiales mais il a également su conserver son attractivité et sa crédibilité. Il a protégé les économies qui l’ont en partage et bien maintenu son rang de deuxième monnaie de référence internationale. Alors que l’UEM a prouvé sa résilience et s’engage vers un approfondissement, peut-on espérer que l’euro assume à l’avenir un rôle international plus important ?

1.      Une monnaie de référence

1.1.   La deuxième monnaie internationale

Le rôle international de l’euro se réfère à son utilisation sur les marchés mondiaux et par les résidents des pays qui ne sont pas membres de l’UEM. Ce rôle, l’euro l’a acquis tôt après son lancement, en 1999. Dès le début des années 2000, il est devenu la deuxième monnaie internationale derrière le dollar. Il a pu le faire sur la base du poids préalable des différentes monnaies nationales qui le composent, notamment du Deutsche Mark, et par les caractéristiques mêmes d’une union monétaire intégrée.

En effet, les trois « facteurs d’internationalisation » d’une monnaie ont tôt été réunis par la devise européenne, quoique imparfaitement 

[1]. La faible inflation résultant de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) a scellé la confiance dans la monnaie unique. L’ouverture commerciale et financière de l’Union européenne et des États membres de l’UEM a aussi contribué à la diffusion de la monnaie unique. Enfin, le système financier européen a offert des marchés profonds et liquides aux investisseurs, même si leurs risques ont été sous-estimés [2].

Le rôle international de l’euro peut donc être confirmé grâce à trois indicateurs usuels [3]. Sa part dans les réserves de change est, à la fin 2013, d’environ 22 %, loin derrière le dollar (environ 60 %) mais devant les autres monnaies (environ 15 %), essentiellement le yen, le franc suisse et la livre sterling. L’euro est également une devise de facturation du commerce international, puisque entre 56 % et 67 % des exportations et entre 51 % et 61 % des importations de la zone sont facturés en euros. Enfin, la part des émissions de dettes libellées en euros est d’environ 40 %, proche de la part du dollar mais devant toutes les autres monnaies.

1.2.   Un statut confirmé malgré la crise

Aucun des trois indicateurs attestant le rôle international de l’euro n’a significativement évolué depuis son introduction ni, a fortiori depuis le début de la crise financière mondiale (2007-2008) puis de la crise propre à l’UEM (2010). Tout juste observe-t-on une légère baisse, depuis 2010, des réserves mondiales détenues en euros (- 6 points de début 2010 à fin 2014), ainsi qu’une baisse, un peu plus importante (- 8 points de 2010 à début 2014), de la tendance, préalablement assez haussière, des émissions de dettes [4]. En revanche, l’usage de l’euro dans les transactions commerciales s’est plutôt accru.

Si l’on observe l’année 2013 en particulier, plusieurs des indicateurs mentionnés étaient en hausse. Les flux de capitaux vers la zone euro, la diffusion de l’euro dans les pays limitrophes et la part de l’euro dans les règlements commerciaux ont tous augmenté. Plus significativement, le degré de confiance dans l’euro manifesté par les ménages d’Europe centrale et orientale a dépassé celui accordé au dollar et aux monnaies nationales. Toutefois, l’euro a vu sa part dans les réserves mondiales baisser d’un point, comme sa part dans les marchés de dettes, en repli de 1,5 point sur un an.

Cette situation contrastée, mais globalement positive, reflète, selon la BCE, plusieurs tendances économiques et financières sous-jacentes. D’une part, la conjoncture de la zone euro et sa gouvernance se sont nettement améliorées depuis 2010, même si elles demeurent encore fragiles. D’autre part, on observe, en marge de leur augmentation tendancielle, une diversification des réserves de change globales, au profit de devises autres que l’euro. Enfin, le marché de dettes libellé en dollars offre toujours une liquidité forte, qui explique que les émetteurs publics et privés le privilégient.

1.3.   L’euro, une devise qui demeure malgré tout très crédible

La crise financière et celle propre à l’Union monétaire n’ont donc pas altéré le rôle international de l’euro. L’UEM n’a pas implosé contrairement à ce que de nombreux esprits chagrins avaient prédit. Aucun agent économique, européen ou non, n’a perdu confiance dans la valeur de l’euro au cours de la crise, et son taux de change est, à l’exception de quelques épisodes de volatilité notamment avec le dollar ou le franc suisse, resté stable. Cet état de fait est largement le fruit de la politique monétaire orthodoxe, puis nettement non conventionnelle menée à partir de 2010 – injection de liquidités, achats de titres publics et privés, communication plus détaillée, etc. – par la BCE, qui a ancré la confiance des marchés internationaux.

Contrairement à ce que les épisodes de crises souveraines pouvaient laisser croire, l’euro a aussi protégé les économies de la zone. En effet, la crise financière mondiale aurait eu des conséquences bien pires dans chacun des pays pris individuellement s’ils avaient conservé les monnaies nationales : des réajustements désordonnés des taux de change auraient eu lieu, nuisant au commerce et à l’investissement. Leurs récessions auraient alors été plus profondes et des épisodes de fortes tensions commerciales et monétaires s’en seraient suivis. Surtout, l’UEM s’est élargie depuis 2008 à quatre pays, dont les trois pays baltes, qui ont pourtant été sévèrement atteints par une crise financière en 2009-2010, témoignant ainsi de l’attractivité de la monnaie unique, quand bien même ces négociations d’adhésion étaient engagées avant.


Article publié le 4 novembre 2015 et à retrouver en intégralité dans le numéro 76 de la revue Questions Internationales.

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[1] Voir Jean-Claude Trichet, « The International Role of the Euro », discours au Schierensee Gespräche, mai 2004, disponible sur le site de la BCE (www.ecb.int).

[2] L’introduction de l’euro a eu comme effet négatif de faire converger l’ensemble des taux sur les emprunts d’État, favorisant l’endettement, le manque de compétitivité, et des bulles spéculatives immobilières ou financières selon les pays périphériques.

[3] Voir l’édition 2014 du rapport de la BCE, The International Role of the Euro et une présentation de la Commission (DG ECFIN), « The International Role of the Euro and the Sovereign Debt Crisis », 2014.

[4] Les émissions de dette privée en euros avaient dépassé en pourcentage les émissions en dollars dès 2003 et l’écart était de 20 points au début de 2008. Le dollar a, sur ce point, repris sa première place.