N’oublions pas les perspectives d’intégration de la zone Euro !

Le Commissaire aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’Union douanière, M. Pierre Moscovici, a présenté fin janvier, devant l’Institut Bruegel, son analyse personnelle des pistes d’approfondissement institutionnel de la zone Euro

[1]. Cette réflexion n’est menée aujourd’hui que par certains cercles d’experts ou par de grandes figures européennes[2] mais est délaissée par les Etats qui, après avoir géré les épisodes aigus de la crise financière dans l’urgence, tentent de conforter la faible et inégale reprise de l’activité dans la zone. Ce sujet est pourtant essentiel pour la stabilité et la soutenabilité de l’Union économique et monétaire (UEM) et apparaît comme un moyen de réaffirmer tout à la fois un projet pour les peuples et une exemplarité européenne dans le monde.

Il est donc utile de rendre compte ici des grandes lignes du propos du Commissaire, en critiquant marginalement ses propositions pour l’avenir de l’UEM.

Pierre Moscovici rappelle que l’UEM a été déficiente dans deux domaines : la prévention des crises, puisque les institutions européennes et les États ont été dans l’incapacité de prévenir et de maîtriser les déséquilibres macroéconomiques et d’accompagner des réformes structurelles régulières des États ; la résolution des crises, ce qui a contraint les Etats à mettre en place des solutions rapides et créées de toutes pièces pour gérer l’interaction des risques bancaires et souverains, particulièrement forte en 2012. Certes, les dirigeants européens auront, en gérant les tensions de la zone Euro, fait progresser l’intégration de la zone et le cadre de la gouvernance économique : l’Union bancaire, le Mécanisme européen de stabilité, les « Six » et « Two » packs, les flexibilités de la politique monétaire de la BCE ou du Pacte de stabilité en témoignent.

Toutefois, beaucoup reste à faire alors que le contexte macroéconomique demeure incertain. En effet, le retour de la croissance dans la zone depuis 2014 est à la fois faible et inégal, contraignant l’efficacité de la politique monétaire unique et soulignant la qualité médiocre des politiques économiques conduites par les États. Comme le souligne M. Pierre Moscovici les mécanismes d’ajustement sont encore faibles ; le désendettement public et privé n’est pas terminé ; l’inflation est très basse, rendant la réduction de la dette et l’ajustement des prix relatifs difficile ; la croissance de l’emploi est trop faible pour faire baisser le chômage ; et le faible niveau de l’investissement bride la croissance. Les Etats réalisent difficilement leurs agendas de réformes structurelles dans une UEM encore très imparfaite. Il est donc nécessaire d’atteindre mieux deux objectifs: la reprise de la zone Euro et son renforcement institutionnel de long terme[3].

Conforter et mieux répartir la reprise à court terme, renforcer les institutions de la zone Euro à moyen et long terme

A court terme, l’activité peut être soutenue par des politiques structurelles, monétaires et fiscales proactives et mieux coordonnées, ce qui implique notamment un effort des pays excédentaires. Trois priorités se distinguent, pour le Commissaire : relancer l’investissement par le « plan Juncker », regroupant un vivier de projets, des outils de modernisation du financement des économies, et un environnement d’investissement plus attractif[4] ; confirmer l’engagement aux réformes structurelles, aux niveaux nationaux (marchés du travail et des biens, environnement favorable aux entreprises) et européens (parachèvement du marché unique dans l’énergie, le digital et les télécoms) ; et, enfin, raffermir la responsabilité fiscale des Etats en contrôlant toujours mieux leurs niveaux de dette et de déficit et en améliorant la qualité de leurs dépenses publiques.

A moyen-long terme, M. Pierre Moscovici pense que l’approfondissement institutionnel de la zone Euro devrait s’organiser autour de cinq axes[5] :

  • De meilleures incitations aux réformes structurelles au niveau national: le Commissaire rappelle que le Pacte de stabilité les prend aujourd’hui mieux en compte de même que le Semestre européen. Ces avancées peuvent, selon lui, servir d’exemples pour de nouvelles dispositions ou coopérations alliant mieux « la carotte et le bâton », sans toutefois préciser lesquelles. Bruegel a proposé récemment, pour sa part, de créer un Conseil de compétitivité européen, coordonnant l’action de la Commission européenne et de nouveaux Conseils nationaux dédiés, en particulier sur la formation des salaires[6]. Un enjeu plus large concerne la coordination inter-gouvernementale d’autres réformes structurelles, que le Trésor français promeut depuis 2008 pour les secteurs exposés et les marchés du travail[7] ;
  • Avoir un mécanisme d’ajustement au niveau de l’UEM : une capacité budgétaire propre, en plus du nouveau mécanisme d’investissement du « plan Juncker », pourrait assurer la stabilité macroéconomique et financer des biens publics (défense ou sécurité intérieure, par exemple). Cette capacité aurait des ressources autonomes et/ou une capacité d’emprunt. La gestion de cette capacité d’emprunt et ses liens avec la mise en œuvre de réformes structurelles nationales ne sont toutefois pas détaillés. Aussi, il n’est pas précisé qu’une capacité d’emprunt ne pourrait vraisemblablement venir qu’après un retour durable de la croissance et de la convergence macroéconomique dans la zone, ce qui fut l’un des problèmes handicapant la proposition précoce des « Eurobonds»[8] ;
  • Améliorer la légitimité démocratique et la responsabilité des dirigeants européens : le Commissaire souhaite, en rappelant notamment le très fort rejet populaire provoqué par la Troïka en Grèce, une implication accrue du Parlement européen et des parlements nationaux dans la surveillance des politiques communes à la zone Euro. Il ne précise toutefois pas comment une éventuelle représentation parlementaire dédiée à la zone Euro serait composée ni quels seraient ses pouvoirs. En ce qui concerne la représentation, un modèle « hybride », rassemblant des parlementaires européens et nationaux, paraît plus souhaitable qu’un modèle purement européen [9];
  • Prévoir que le Commissaire aux Affaires économiques et financières devienne Ministre des Finances de la zone Euro: Pierre Moscovici indique que cette perspective découlera d’une meilleure collaboration des Directions générales ECFIN et TAXUD (en charge des questions fiscales et de l’Union douanière)[10]. Il faut saluer les progrès établis en ce sens, puisque le Commissaire a présenté un projet, certes porteur de risques[11], de Directive sur l’optimisation fiscale, dans la ligne des progrès préalablement effectués en matière d’évasion fiscale. La Commission devra toutefois aussi s’atteler à l’harmonisation des fiscalités d’entreprise ou des produits d’épargne, notamment dans le cadre de l’Union des marchés de capitaux ;
  • Une meilleure représentation extérieure de l’UEM : l’Euro est la deuxième monnaie mondiale mais ne « boxe pas dans sa catégorie » en raison de la dispersion des voix de ses Etats dans les différentes enceintes internationales et vis à vis des pays émergents (FMI, fora de régulation financière, relations avec la Chine ou l’Inde …). Ce sujet est essentiel pour la défense des intérêts économiques et stratégiques de la zone et pour l’utilisation de l’Euro comme monnaie de réserve. Le Commissaire indique que des propositions seront faites en ce sens dès 2015. De nombreux travaux pourront l’aider en ce sens[12]!

Pour le nouveau Commissaire aux Affaires économiques, qui a déjà fait preuve d’habileté politique sur les sujets dont il a la charge et qui semble très conscient de l’attente politique que suscite le nouvel exécutif, la zone Euro devra à l’avenir être emprunte de « plus de solidarité et de responsabilité, de règles quand cela sera possible et de décisions discrétionnaires quand cela sera nécessaire, et d’un meilleur contrôle démocratique tout le temps ». Un débat très utile est ainsi relancé, un projet pour l’Europe est a portée de main pour peu que les États parviennent à dépasser leurs divisions et leurs contraintes de court terme. Certes, il est éloigné des préoccupations immédiates des dirigeants européens et prendra assurément plusieurs années, mais il ne faut pas le perdre de vue pour éviter que la zone Euro ne traverse à nouveau les troubles inouïs qu’elle a, en partie très injustement, connu de 2010 à 2012. Le parachèvement de la zone Euro doit aussi conforter le soutien des citoyens à la monnaie unique, qui n’a guère faibli et reste élevé au Sud comme au Nord[13].

Stand up for Europe continuera de suivre attentivement ce sujet !

Olivier Marty, Maître de conférences à l’ESSEC

[1] Voir le discours du Commissaire le 20 janvier 2015 à l’Institut Bruegel, disponible sur : http://www.bruegel.org/nc/blog/detail/view/1547-deepening-economic-and-monetary-union/

[2] Voir, par exemple, les ouvrages de Valéry Giscard d’Estaing et de François de Galhau.

[3] Pierre Moscovici indique que ces deux objectifs ont été suivis parallèlement depuis le début de la crise, mais que chacun a été partiellement atteint. Il est donc nécessaire de les réaliser pleinement.

[4] Voir à ce sujet les contributions « Questions d’Europe » de M. Philippe Maystadt, ancien Président de la Banque européenne d’investissement (BEI) et d’Olivier Marty à la Fondation Schuman, notamment (http://www.robert-schuman.eu/fr/st-6-l-union-economique-et-monetaire/1/1/).

[5] Le Commissaire reconnaît que cette perspective impliquerait un changement de Traité et de la législation secondaire.

[6] Voir la contribution de MM. Sapir et Wolff, « Euro area governance : what to reform and how to do it ? » disponible sur http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/870-euro-area-governance-what-to-reform-and-how-to-do-it/

[7] Voir la note « Trésor-Eco », juin 2008 (n°38), « Faut-il coordonner les réformes structurelles en zone Euro ? », disponible sur : http://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-eco

[8] On se souvient que certains Etats ou figures du débat économique avaient proposé de créer des « Eurobonds » dès le début de la crise grecque. Lorsqu’elle était émise par des États ou des économistes de pays impécunieux et peu réformés, tels la France, cette proposition ne pouvait pas être crédible. Elle l’était encore moins par ceux dont les indicateurs macroéconomiques avaient trop divergé avant la crise et qui mettaient en œuvre des réformes drastiques pour que l’assurance fût donnée aux pays potentiellement « perdants » d’un mécanisme de mutualisation des dettes (Allemagne, France, pays nordiques) que le coût de l’opération serait couvert par un regain de stabilité de la zone. Enfin, des transferts plus rapides entre les États devaient être prévus et ont été mis en place avec le FESF et le MES.

[9] Voir à ce sujet l’article d’O. Marty, « Comment gouverner la zone Euro », publié par la Revue Esprit en aout-septembre 2014, faisant le point sur les différentes propositions de « Parlement de la zone Euro » émises par des praticiens ou universitaires de différents pays européens, disponible sur (payant) : http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=38090

[10] Pierre Moscovici indique que la question de l’intégration du Président de l’Eurogroupe à la Commission se posera plus tard, « dans le long terme ».

[11] Le projet de directive sur l’optimisation fiscale souhaite établir la transparence des rescrits fiscaux (« tax rulings ») des grands groupes au bénéfice des administrations nationales comme de la Commission. Le Parlement européen voudrait l’étendre à toutes les activités des groupes concernés, ce qui risquerait d’affaiblir ces derniers alors que les pays émergents souhaitent revoir les règles fiscales mondiales pour bénéficier d’une plus grande part de l’assiette imposable des entreprises occidentales. Les conflits entre administrations et la confusion des opinions publiques risqueraient aussi de s’accroître, affichant à nouveau les divisions européennes au grand jour.

[12] Voir récemment la contribution de D. Schwarzer et alii au projet et au Rapport « Think global, Act European (TGAE), Thinking strategically about the EU’s external action » de l’Institut Delors, disponible sur http://www.institutdelors.eu/011-15539-Vers-une-representation-exterieure-commune-de-la-zone-euro.html

[13] A l’automne 2013, 52% des Européens soutenaient l’UEM avec une monnaie unique, selon un sondage TNS commandé par la Commission et 41% s’y déclaraient opposés. 63% de citoyens de la zone Euro approuvaient la monnaie unique, le taux le plus fort étant celui du Luxembourg (79%) suivi peu après par l’Allemagne (71%) et la France (63%). Les citoyens de Chypre étaient alors les seuls de la zone Euro à y être majoritairement opposés (44% en faveur, seulement).