Europev3c

Juillet 2014

france-strategie-rapportfinal23062014-1-638Toute une partie du Rapport de France Stratégie sur La France dans dix ans

[1] est consacrée à la reconquête d’une ambition européenne pour la France. Ce pan de l’analyse, prospectif et innovant, de l’ancien Commissariat au Plan, est particulièrement bienvenu en raison des difficultés qu’ont traditionnellement nos gouvernements à se projeter dans l’Union et à expliquer l’action qu’ils y conduisent. Le texte spécifique à l’Europe est porteur de sept propositions à la fois ambitieuses et réalistes qu’il convient d’évaluer.

Choisir la « coopération transnationale » comme approche d’intégration et de gouvernance de la zone Euro

Préalable à la formulation d’idées concrètes, France Stratégie propose que la France choisisse, pour l’intégration de la zone Euro, un modèle de « coopération transnationale » tournant le dos au « fédéralisme budgétaire classique » et à la « coordination institutionnalisée » qui implique une surveillance supranationale renforcée. Un tel choix aurait le mérite d’aider à dépasser l’inter-gouvernementalisme excessif à l’œuvre depuis le début de la crise et de faciliter la coopération française avec ses partenaires.

Les instances dirigeantes de l’Euro incluraient un Trésor européen s’articulant autour de trois éléments : un Ministre des Finances, représentant extérieur unique de la zone Euro, qui serait éventuellement membre de la Commission et de l’Eurogroupe ; la gestion de deux réserves de ressources communes, l’une pour garantir la stabilité financière, l’autre pour relancer l’investissement ; un Commissaire en charge de la surveillance macroéconomique des États membres. Un Parlement de la zone euro composé de députés européens des pays de la zone Euro aurait des pouvoirs de contrôle budgétaire.

Transformer le MES en Fonds monétaire européen

Afin de garantir la stabilité financière et de laisser oublier l’implication déshonorante du Fonds monétaire international (FMI) en zone Euro, le Mécanisme européen de stabilité (MES) crée en 2012 serait transformé en Fonds monétaire européen (FME). Celui-ci fournirait des garanties communes sur l’émission de dettes souveraines soutenables et, comme aujourd’hui, des programmes d’assistance financière supranationaux pour répondre à des crises de finances publiques.

Cette idée a le mérite de combiner deux éléments positifs : une logique d’aide juste, avec les garanties communes sur l’émission de dettes associées à des possibilités de véto sur les budgets et sur les plans de refinancement ; et une fermeté constructive avec une conditionnalité élargie à des programmes de réformes « hors crise » d’amélioration de la compétitivité ou d’accompagnement des réformes structurelles, alors que les programmes actuels du MES se limitent à la gestion de crise.

Doter l’Union d’un instrument d’investissement de long terme ?

Partant d’un diagnostic sur la baisse préoccupante de l’investissement public et privé, et sur l’effet de catalyse que peut procurer l’investissement public sur l’investissement privé, France Stratégie se prononce pour la création d’un instrument d’investissement de long terme venant conforter l’action de la Banque européenne d’investissement (BEI). La place et les modalités de l’action d’un tel Fonds sont encore en débat, mais il souligne en tout état de cause la nécessité d’octroyer plus de moyens aux investisseurs publics à long terme. Les dépenses du dispositif seraient associées à des réformes structurelles cohérentes avec des objectifs d’emploi et de compétitivité.

Compléter le mandat de la BCE en y ajoutant l’objectif de stabilité financière

France Stratégie ne propose pas de supprimer le principe de prohibition du financement monétaire du Traité (i.e. l’achat, par la BCE, de dettes d’État), mais de prendre acte des inflexions pragmatiques qui ont été observées sur ce plan au fil de la crise, par exemple dans les cas espagnols et portugais. Une adaptation de la législation secondaire serait ainsi bienvenue. En revanche, un amendement au mandat de la Banque devrait inclure l’objectif de stabilité financière, alignant ici le droit sur les faits, tant pour ce qui relève de la politique monétaire que de l’Union bancaire.

Approfondir le socle social à l’échelle européenne

Confortant les revendications politiques vers plus d’acquis social en Europe, France Stratégie recommande d’élargir de façon pragmatique « le socle commun sur lequel les États membres ne se font pas concurrence ». Un « Acte unique pour le travail » viendrait ainsi compléter le volet économique de l’intégration européenne afin de favoriser la mobilité des personnes et de limiter les effets négatifs de la concurrence salariale. La portabilité des droits sociaux et le principe d’un salaire minimum dans chaque État membre seraient les deux objectifs visés.

Ce champ de propositions laisse éclore un souci français traditionnel particulièrement marqué à gauche mais de façon plus constructive et au bénéfice du bon fonctionnement de l’union monétaire. Progresser de cette façon légitimerait les avancées économiques souvent perçues comme éloignées des réalités quotidiennes des citoyens et, de ce fait, incomprises par eux. Cela montrerait également plus nettement, aux yeux du monde, que l’Union européenne est bien un espace de droit et de solidarité, porteur d’équilibre économique, social, environnemental et culturel.

Harmonisation fiscale dans l’Union européenne

France Stratégie considère que la coordination fiscale internationale est bien lancée au plan international. Les Etats-Unis, l’OCDE et le G20 se sont en effet « emparés avec volontarisme des problématiques des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale ». L’Union européenne, qui a déjà fait évoluer certaines législations, pourrait conforter ce mouvement chez elle en s’assurant que « les régimes fiscaux des pays membres de l’UE soient cohérents entre eux et qu’ils forment collectivement un système fiscal juste et effectif ».

A cet égard, un chantier prioritaire est bien l’harmonisation des régimes très différents d’impôt sur les sociétés[2], reprise dans chacune des propositions visant à créer un Parlement de la zone Euro[3]. Ainsi, les tensions économiques entre États membres, exacerbées depuis le début de la crise, seraient apaisées et la légitimité populaire des efforts économiques conduits dans certains d’entre eux se trouverait confortée.

Donner à l’UE le moyens d’une réelle influence internationale

Afin d’aider l’Union, échelle politique plus pertinente que les États à bien des égards, à influer sur les règles du jeu mondiales, « à contribuer à la résolution des problèmes globaux ou à se faire entendre des grandes puissances », France Stratégie propose de concentrer les efforts sur deux priorités :

  • D’une part, il convient de concrétiser l’ambition ancienne d’une représentation unifiée de la zone Euro dans les instances économiques et financières internationales, ce qu’il est possible de faire sans modification du Traité[4]
  • De l’autre, en s’appuyant sur le marché intérieur, agir dans la fixation de normes internationales plutôt que de subir les normes fixées par d’autres, ce qui prend tout son sens dans le cadre des négociations sur le Traité transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP)

Conclusion

Du choix d’un modèle d’intégration française en Europe à la capacité de celle-ci à contribuer à la régulation de la mondialisation, il n’y a qu’une succession de petits pas logiques. France Stratégie mobilise les talents pour faire passer l’idée que la promotion des spécificités et des expertises françaises dans le monde est facilitée en intégrant pleinement les forces vives du pays au projet européen. La méthode suivie pour réformer les institutions et les politiques européennes doit simplement tenir compte du contexte politique et économique qu’on y trouve … et qu’on y présente.

 


 

[1]Voir le cahier thématique : http://www.strategie.gouv.fr/blog/2014/07/communique-retrouver-ambition-europeenne-france/

[2]Les écarts de taux d’IS (nominaux) sont considérables : France (38%), Allemagne, Espagne, Italie autour de 30%, Royaume-Uni (23%) et Irlande 12,5%. Il est toutefois probable que la convergence s’opérera progressivement en raison de la diversité des contraintes économiques des pays. Elle devrait passer par une réflexion commune sur les objectifs des prélèvements obligatoires.

[3]Les projets de constitution de ces Assemblées varient néanmoins, selon que l’on souhaite y inclure les parlementaires nationaux ou non. Voir à ce sujet l’article de l’auteur dans la Revue Esprit d’août-septembre 2014.

[4]En vertu de l’article 138 TFUE, le Président de l’Eurogroupe peut représenter la zone Euro au FMI et à la Banque mondiale. Voir à ce sujet la note Questions d’Europe n° 320 (juillet 2014) de Thierry Chopin de la Fondation Robert Schuman, Réformer l’Union européenne, quelles méthodes ? Quels scénarios ?