Fondation-robert-schuman_blancIntroduction

L’Union des marchés de capitaux est l’une des priorités de la Commission, dont la réalisation doit s’étendre de 2015 à 2019. Elle a pour objet de développer, dans l’Union européenne, le financement non bancaire de l’économie européenne dans un contexte où les flux de crédit bancaires peinent à soutenir l’activité.

L’ambition n’est en soi pas nouvelle, puisque la réalisation du marché unique de capital a déjà fait l’objet de plusieurs initiatives. Elle suscite néanmoins autant d’attentes des acteurs financiers que d’interrogations des institutions et des opinions, qui voient parfois en elle une analogie de l’Union bancaire. Dès lors, quels peuvent être les contours, les priorités et la portée de ce projet ?

Cette étude recense les objectifs de l’Union des marchés de capitaux. Elle rappelle les contraintes des financements bancaires en Europe. Elle indique quelques indications de priorités portant sur certains instruments financiers, tout en esquissant la nécessité de bâtir autour d’eux des mesures de régulation et de supervision associées.

I – L’Union des marchés de capitaux : une initiative politique bienvenue ayant pour objet de réaliser le potentiel du marché unique de capital

1.1 – L’Union des marchés de capitaux a pour but de développer le financement non bancaire de l’économie européenne

Les marchés de capitaux désignent les flux financiers transitant par des canaux non bancaires. Actions, obligations, introductions en bourse, placements privés, titrisation, sont des instruments financiers concernés par l’initiative. Les entreprises sont les principaux bénéficiaires de ces instruments. Les marchés boursiers, les assureurs, les sociétés de gestion d’actifs ou de fonds (de capital-risque, d’investissements, de hedge funds) sont des financeurs. Les chambres de compensation, les cabinets d’audits ou les sociétés de conseil sont des infrastructures et des « intermédiaires » financiers, également concernés.

L’Union des marchés de capitaux visera autant à harmoniser les instruments financiers existant, de façon à faciliter leur usage dans l’Union, qu’à favoriser la création de ceux qui n’existent pas. Ainsi, la quête de diversité dans la sphère non bancaire doit être absolument promue par les initiatives qui seront prises afin de favoriser une prise de risque nécessaire à l’innovation

[1]. L’action de la Commission doit, par ailleurs, veiller à harmoniser les dispositions juridiques et fiscales propres aux entreprises bénéficiaires de financements de marché ainsi qu’aux intermédiaires et aux infrastructures, ces dernières étant aussi concernés par la supervision.

L’idée de développer les financements de marchés a été exprimée par Jean-Claude Juncker en juillet 2014 pour mobiliser les acteurs financiers et politiques autour de cet enjeu. L’initiative a également le mérite de lancer un signal positif à Londres dans le contexte d’un hypothétique référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union en 2015. L’importance financière de la place de Londres laisse en effet présager de nombreux bénéfices pour le pays [2], même si les termes du débat britannique autour de l’appartenance à l’Union européenne concernent plutôt des questions de souveraineté (libre circulation des personnes, justice, etc.).

1.2 – Cette initiative nouvelle ne comportera pas de dimension institutionnelle, rendant son analogie avec l’Union bancaire trompeuse

L’ambition d’unifier les marchés de capitaux européens n’est pas nouvelle. La libre circulation du capital est en effet l’une des quatre libertés fondamentales que le marché unique et la création de l’Euro avait pour ambition de réaliser. De nombreuses mesures ont ainsi été actées depuis 1986 pour assurer la pleine effectivité de ce dernier dans le domaine financier. Le Plan d’action pour les services financiers (PASF) de 1999 portait, par exemple, plusieurs dispositions visant à harmoniser la réglementation financière, la reconnaissance des règlementations nationales et les règles de surveillance prudentielle.

L’Union des marchés de capitaux acterait des mesures parachevant ce socle préalable. Elle ne doit toutefois pas être confondue avec l’Union bancaire, projet initié avec une rapidité exemplaire au cœur de la crise espagnole de 2012 dans le but de rompre le lien déstabilisant entre les risques bancaires et souverains. Le projet ne compotera ainsi pas de dimension institutionnelle tangible corroborant une centralisation des règlementations ou de la supervision financières [3]. Toutefois, les deux projets sont liés, à la fois parce que l’Union bancaire favorise le développement des marchés et parce qu’elle rend nécessaire une plus grande intégration des politiques associées.

De même, la place prépondérante du financement bancaire dans l’économie européenne, inversement proportionnelle à celle des Etats-Unis [4], rend hors de portée l’objectif de développer en cinq ans des marchés financiers de même ampleur qu’outre Atlantique. Comme l’indique Nicolas Véron, le développement des marchés est souhaitable à court-terme pour prendre le relais des banques et, à long terme, pour favoriser l’innovation, qui est relativement faible dans l’Union [5]. Toutefois, les banques demeurent des structures indispensables aux analyses de crédit et au contact durable des entrepreneurs, et sont sans doute la marque de préférences différentes dans l’organisation du système financier [6].

1.3 – L’Union des marchés de capitaux vise ainsi à parfaire l’allocation du capital et la diversification des risques financiers

La crise dans la zone Euro a initié un processus de « fragmentation financière » des marchés monétaires, obligataires et boursiers particulièrement fort lors des tensions sur les dettes grecque, italienne et espagnole. Au cours de ces épisodes, les pays périphériques ont vu leurs flux de capitaux entrants refluer vers le cœur de la zone, où les valeurs, notamment d’États, étaient considérées comme plus sûres, et leurs actifs financés de façon prépondérante avec des liquidités domestiques. Cette difficulté a été particulièrement manifeste lorsque les dettes souveraines ont été portées par les banques domestiques, ce qui fut la raison essentielle du lancement de l’Union bancaire.

Les prix et les quantités des actifs libellés en Euros initient depuis 2013 une convergence bienvenue, signe d’une « défragmentation » des marchés semblable à la période préalable à la crise [7]. Toutefois, comme l’indique Benoît Coeuré [8], l’intégration des marchés de capitaux ne peut se réduire à cette simple convergence. D’une part, la décennie des années 2000 a confirmé, a posteriori, que la réduction des rendements des titres pouvait refléter une sous-évaluation des risques constitutive de déséquilibres. D’autre part, une véritable intégration financière doit permettre une allocation du capital et une diversification des risques optimale.

L’allocation désigne une liberté des flux financiers qui ne serait pas entravée par des risques autres que ceux liés à la qualité intrinsèque des actifs. En conséquence, les facteurs discriminants dans l’accès aux financements, tels que l’origine des emprunteurs ou des prêteurs, doivent être amoindris ou supprimés et ainsi permettre au marché de réaliser son unification. Celle-ci peut aussi être assurée par une diversification des risques financiers de manière à faciliter l’absorption, par les entreprises et les ménages, des chocs subis localement. De ces deux points de vue, l’Union bancaire est un atout essentiel pour l’Union des marchés de capitaux.

II – Les contraintes pesant sur les banques légitiment de vouloir développer des sources alternatives de financement, qui se sont déjà accrues

2.1 – Les financements bancaires demeurent contraints pour des raisons liées à l’offre et à la demande de crédit

L’analyse traditionnelle des difficultés associées au financement bancaire de l’économie européenne est de distinguer les effets de la demande (de crédit) de ceux de l’offre. Pour les uns, le tarissement du crédit serait lié à des difficultés propres aux entreprises et aux ménages, telles que l’absence de commandes dans un environnement économique instable ou la nécessité d’un désendettement des entreprises. Pour les autres, les banques seraient avant tout contraintes par la réglementation prudentielle et les faibles dispositifs de partage des risques. Le croisement des courbes aboutirait ainsi à une quantité de crédit à la fois plus tarie et plus chère.

Comme l’indiquent régulièrement la Banque européenne d’investissement ou la Banque centrale européenne, la perception, par les entreprises, des risques et des rendements de leurs investissements apparaît comme un facteur prépondérant de leur faible demande de crédits d’investissement [9].

L’environnement économique, particulièrement dans les pays en crise, et donc la capacité à accroître leur pouvoir de marché jouent alors négativement. De même, le désendettement à l’œuvre dans certains secteurs, en particulier pour les PME et les pays périphériques, peut ne pas inciter à contracter davantage de dettes.
Du côté de l’offre, ce sont avant tout les conditions de financement des banques qui sont importantes pour déterminer leur capacité (et leurs marges) de prêts, de même que leur perception des marchés d’emprunteurs. La nature de la politique monétaire (ampleur des liquidités fournies par la BCE, types d’actifs rachetés, communication) est importante, aux côtés des traditionnelles analyses de risque de crédit. Toutefois, les capacités des banques à prendre des risques, compte tenu de leurs contraintes règlementaires, et à les partager une fois ceux-ci pris indiquent aussi l’étendue de leur liberté d’action.

2.2 – Cette grille de lecture gagnerait néanmoins à être dépassée, d’autant plus après l’avènement du Mécanisme de supervision unique

Au niveau de la demande, à l’instar des difficultés en vue d’assurer la relance de l’investissement au niveau européen, l’incertitude économique est un problème essentiel contraignant les entreprises et les ménages dans leurs décisions d’investissement [10]. Or, celle-ci compte sans doute beaucoup dans l’atonie de la demande de crédit comme dans les prises de risques effectives des banques. Pourtant, l’environnement économique dépend pour une large part, particulièrement dans certains pays, tels la France et l’Italie, de la crédibilité des politiques économiques, qui sont d’abord du ressort des États, et de facteurs psychologiques qui ne sont pas tous du ressort des entreprises elles-mêmes.

Comme l’indique la BEI, la volonté de réduction des dettes des entreprises demeure un problème [11]. Toutefois, il est concentré dans un nombre limité d’États membres (tels que le Portugal et Chypre), dans certains secteurs, et pour les PME. Ce processus doit se poursuivre et peut être favorisé par des dispositifs publics [12] sans pour autant être considéré comme le cœur du problème. L’accès au financement n’est pas non plus répertorié comme le principal problème des entreprises depuis le début de la crise. L’environnement économique, traduit dans la capacité concrète à trouver des clients pour les productions est, en revanche, quasi-systématiquement le « problème n°1 ».

Au niveau de l’offre, les contraintes règlementaires pesant sur les établissements bancaires sont plutôt bien intégrées par ceux-ci même si toutes les dispositions techniques ne sont pas encore arrêtées [13]. Ces contraintes règlementaires ont conduit à une réduction du bilan des banques et de leur profitabilité, qui est une explication de la baisse de la prise de risque des établissements. Toutefois, d’autres mesures favorables à la prise de risque existent, tels que l’assainissement des bilans des banques, tâche que l’entrée en vigueur du Mécanisme de supervision unique (MSU) permet, et des mesures de partage de risques, comme les garanties publiques de crédit ou des instruments financiers de portage de risque, comme les Project bonds [14].

Aussi, les banques ne sont pas véritablement contraintes par l’accès à la liquidité. La BCE a agi depuis le début de la crise pour fournir des liquidités extrêmement abondantes à faible coût, et s’est engagée à le faire encore davantage avec le programme TLTRO. Certains responsables, tel que Ulrich Schröder, Président de la KfW, sont catégoriques à cet égard : il n’y a aucun problème d’offre de crédit en Europe [15]. De plus, les dernières options de politique monétaire annoncées et attendues par les intervenants de marché portent sur de nouvelles vagues d’achat de titres publics et sur des dettes privées des entreprises, non pas directement sur de la liquidité bancaire [16].

L’entrée en vigueur du MSU, premier pilier de l’Union bancaire, le 4 novembre 2014 est aussi une étape importante pour l’amélioration de l’octroi de crédit en Europe.

La revue de qualité des actifs (« asset quality review« ) et les tests de résistance (« stress tests« ) qui ont été menés ont permis à la BCE et aux banques d’établir une transparence sur les bilans des banques [17]. Ceci est particulièrement important pour traiter la question des prêts non performants (« non performing loans« ) qui, comme le rappelle la BEI, ont doublé dans la zone Euro depuis 2009 et obèrent particulièrement l’octroi de crédit des banques des pays périphériques [18]. Connaître l’ampleur réelle et la valorisation des portefeuilles peut favoriser le développement d’un marché de vente de ces actifs, actuellement limité [19].

De même, cet exercice de revue des actifs puis de mise à l’épreuve des bilans a permis d’établir la liste de banques insuffisamment capitalisées. Des 25 banques à risque, enjointes à communiquer leurs plans de recapitalisation, 12 avaient déjà fait le nécessaire pour retrouver des niveaux suffisants au regard des règles prudentielles, et 13 estimaient leurs besoins de recapitalisation à hauteur de 9,5 milliards €. Après le 9 novembre, date limite du dépôt des plans de recapitalisation, seules 8 banques restent dans une situation critique, avec des besoins estimés autour de 6,5 milliards € [20], principalement en Italie, au Portugal et en Irlande.

L’Union bancaire est certes loin d’être achevée : la nécessité de trouver un accord sur l’abondement du fonds de résolution du Mécanisme de résolution unique (MRU), comme sur sa capacité d’emprunt, demeure importante. Toutefois, l’adoption du premier pilier est incontestablement une étape importante, une condition nécessaire, tant sur le fond, puisqu’elle permet d’établir une transparence sur les bilans, que sur la forme, puisqu’elle est gage de confiance pour les acteurs bancaires ou entrepreneuriaux, et pourrait initier une reprise de fusions transfrontalières [21]. Mais cette étape est en elle-même insuffisante pour restaurer les flux de crédit en zone Euro.

2.3 – Les financements par les marchés de capitaux ont déjà pris le relais des banques depuis le début de la crise

Les contraintes pesant sur les banques ont conduit les entreprises européennes à se tourner vers les marchés de capitaux depuis le début de la crise, même si ce « relais » a été plus facilement « passé » par les grandes entreprises et dans certains pays, notamment du cœur de la zone Euro. L’émission nette d’obligations d’entreprises et d’actions a ainsi été maintenue à un niveau positif depuis 2008 et les obligations d’entreprises ont vu leur part dans la dette totale des entreprises passer de 7,5% en 2008 à 11,5% fin 2013. Les coûts de financements désintermédiés sont apparus, sur ce marché, moins élevés que ceux des banques.
L’attractivité d’autres instruments financiers tels que les obligations sécurisées (« covered bonds« ), les prêts titrisés (« ABS« ), ou les placements privés, tous concernés par l’Union des marchés de capitaux, a été inégale. Les « covered bonds » ont plutôt maintenu un haut niveau d’émissions au cours de la crise et ont bénéficié de programmes de rachats d’actifs spécifiques de la BCE, à trois reprises (2009, 2011 et 2014). Des « placements privés » européens ont été activement émis aux Etats-Unis où le marché est plus profond [22]. Les émissions de produits titrisés ont toutefois connu une forte baisse depuis 2008, et n’ont été émis que dans le but de bénéficier de financements de la BCE, c’est-à-dire comme collatéral.

Toutefois, comme le rappelle Benoît Coeuré [23], l’accès aux marchés de capitaux est inégal en zone Euro : l’émission d’obligations d’entreprises a été fortement concentrée dans les pays non soumis à des tensions (sans baisse de flux nets bancaires). De même, la compréhension, par une chaine d’intermédiaires, du régime juridique applicable aux émissions dans les pays périphériques est un obstacle au développement de flux transfrontaliers. L’harmonisation de la réglementation concernant les opérations transfrontalières est donc un des enjeux importants de l’Union des marchés de capitaux.

La BEI indique également, à l’aide d’une cartographie utile, que la substitution des marchés aux financements bancaires s’est mieux faite dans les pays où les marchés de capitaux étaient déjà bien développés, comme en France, Allemagne, Pays-Bas, Suède ou au Royaume-Uni [24]. La plupart des pays périphériques où les banques étaient contraintes (Grèce, Irlande, Italie, Portugal) n’ont ainsi pas bénéficié d’un effet substantiel des marchés, à l’exception de l’Espagne. Les pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que les pays baltes, ont également des marchés de capitaux peu développés, ce qui laisse présager du potentiel de l’Union des marchés de capitaux dans ces pays.

III – L’Union des marchés de capitaux pourrait bénéficier d’instruments financiers pan-européens en veillant à harmoniser les régulations et le cadre de supervision associés

3.1 – Le développement d’instruments financiers pan-européens assurant l’intégrité du marché européen de capitaux

L’Union des marchés de capitaux pourrait, dans une première étape, avoir comme objectif de développer des instruments financiers véritablement pan-européens si ceux-ci ont déjà fait la preuve de leur efficacité et de leur sécurité au plan national et si leur utilisation facilitée dans l’ensemble de l’Union est utile pour combler une atrophie de crédit bancaire. Si tel est le cas, l’approche de la Commission européenne consisterait d’abord à lever l’ensemble des obstacles juridiques et fiscaux propres à ces titres, tout en veillant à harmoniser la gouvernance des entreprises financées ainsi que la régulation et la supervision d’acteurs intermédiaires (cabinets d’audits, société de conseil) ou d’infrastructures de marché (chambres de compensation).

Cinq « produits types » pourraient ainsi être développés à l’échelle européenne, au profit notamment des PME qui ont traditionnellement du mal à accéder aux marchés :

    • La titrisation de prêts (« asset backed securities« ) : très associée aux marchés des « subprimes« , cette pratique consiste à regrouper des instruments de prêt de différents niveaux de risques afin de les mutualiser puis de les revendre à des investisseurs. Ainsi, le produit est placé hors des bilans bancaires et libère des charges de capital règlementaire permettant aux banques d’utiliser d’autres actifs comme collatéral et de prêter davantage aux entreprises et aux ménages. Cet instrument a donc le potentiel de répartir les risques des pays périphériques ou associés à des actifs déterminés, tels que ceux des PME pour qui le dispositif est important.
    • Les obligations sécurisées (« covered bonds« ) : ces instruments, majoritairement reliés à des actifs immobiliers ou des prêts du secteur public sont semblables aux titrisations mais demeurent au bilan des banques. Ils permettent une diversification de risques en même temps qu’ils apportent une sécurité importante et des possibilités de « double recours », à la fois sur l’actif sous-jacent et l’émetteur [25]. Ils sont toutefois peu développés au profit des portefeuilles de prêts aux PME.
    • Les obligations d’entreprises (« corporate bonds« ) : ces titres obligataires utiles à l’émission de dettes sont traditionnellement utilisés par les grandes entreprises. Le volume de transactions a augmenté depuis 2008, mais dans un nombre limité de pays non soumis à des « stress » de marché. Cette fragmentation reflète des divergences nationales de droit des valeurs et de droits des faillites, qui ne favorisent pas les investissements transnationaux. De même, leur usage par des PME est limité.
    • Les placements privés (« private placements« ) constituent une alternative aux émissions publiques (sur des bourses) et ont un potentiel de diversification de risques pour les investisseurs. L’analyse de crédit et les obligations de « reporting » sont traditionnellement plus légères que sur les autres produits de dette. Depuis le début de la crise, des émissions européennes ont pu être effectuées sur le marché américain des « US PP », qui recense, d’après une étude de l’OCDE un tiers de placements européens [26].
    • Les régimes de retraite : une opportunité, pour la Commission, pourrait être de développer des mesures harmonisées sur les « troisièmes piliers » (les régimes de capitalisation : épargne, pensions, assurance-vie). Cette mesure viserait alors le développement de fonds de pension dans les pays européens qui n’en disposent pas encore et des mesures favorables à la portabilité de droits sociaux, ayant par ailleurs le potentiel d’accroitre utilement la mobilité des salariés en Europe [27].

3.2 – Des améliorations peuvent être apportées à chacun de ces instruments en tenant compte de la régulation des actifs financés

Concernant la titrisation, plusieurs économistes s’accordent sur le potentiel de développement du marché européen pour le porter à 3 ou 4 trillons €. Si la demande de produits titrisés par les investisseurs est faible en raison de l’historique de la crise et de la dépréciation de plusieurs instruments, l’émission peut être favorisée par une approche de régulation plus spécifique, visant à distinguer, dans les règles prudentielles de Bâle III, les produits simples et peu risqués (typiquement associés aux PME) de ceux qui le sont moins. De même, une harmonisation des régimes de faillite des entreprises sous-jacentes, une standardisation d’obligations de reporting et des méthodes d’analyse de crédit harmonisées, paraissent nécessaires en vue, éventuellement, de créer un format européen [28].

La titrisation bénéficierait ainsi mieux des programmes annoncés par la BCE. Ceux-ci peuvent concerner les prêts aux PME ou à d’autres entreprises ou les produits liés à l’immobilier, marchés d’ampleurs différentes [29]. Comme l’indiquent Altomonte et Bussoli [30], l’achat d’ABS d’entreprises peut avoir comme effet indirect de libérer du capital des bilans bancaires et de tirer pleinement profit du dernier programme de liquidités de la BCE (TLRTO), libérant ainsi le crédit bancaire. Toutefois, les auteurs soulignent que la mise en œuvre de changements du cadre règlementaire et des barrières techniques est nécessaire pour conforter l’efficacité de cette option.

Les obligations d’entreprises (« corporate bonds« ) pourraient voir leurs droits harmonisés de façon à faciliter les flux financiers transfrontaliers. L’harmonisation partielle du droit des faillites ou de restructuration d’entreprises, et de leur fiscalité, peut être utile. Pour les PME, le développement de fonds d’obligations dédiés à ces entreprises, ou la facilitation d’introductions en bourse de PME à fort potentiel, sont d’autres pistes promues, notamment par Wehinger [31] ou, en France, l’association PME Finance. De même, les obligations de « reporting » pour les émissions obligataires pourraient être facilitées.
Les « covered bonds » pourraient bénéficier d’une harmonisation des informations sur les entreprises sous-jacentes, de législations nationales uniformes, de mesures spécifiques visant à y inclure les PME. Les « placements privés » (« private placements« ) devraient voir les informations des émetteurs harmonisées et rendues plus transparentes faire l’objet de charges en capital appropriées, et voir des marchés secondaires se créer.

3.3 – Établir un ordre de priorités dans un cadre plus large de régulation et de supervision cohérent

Le projet d’Union des marchés de capitaux devrait, à la suite d’une consultation avec les parties prenantes, faire l’objet d’un plan d’action prévu pour mi-2015. Le « programme de travail » semble, à ce jour, loin d’être arrêté. La titrisation, les obligations d’entreprises, et les obligations sécurisées (« covered bonds« ) sont des instruments sur lequel un premier travail peut être effectué, s’il est entendu que celui-ci inclut également des mesures relatives aux actifs financés : le droit des titres va ainsi de pair avec l’harmonisation de la gouvernance des entreprises, leur fiscalité, leurs règles comptables. De même, la supervision des chambres de compensation et la régulation harmonisée des cabinets d’audit sont des mesures propres aux infrastructures de marché ou aux acteurs intermédiaires du financement qu’il ne faudra pas perdre de vue.

Pour Nicolas Véron, l’agencement des priorités de l’Union des marchés de capitaux devrait suivre un cheminement en six étapes allant du plus simple au plus difficile, reflétant lui-même l’impact potentiel des mesures choisies. La supervision des infrastructures de marché, parmi lesquelles les chambres de compensation, les régimes d’insolvabilité des entreprises, et les questions fiscales sont les mesures les plus complexes, mais les plus utiles [32]. Le législateur ne devra pas non plus oublier, comme l’a indiqué notamment Steven Maijoor, que la protection des investisseurs, l’attractivité internationale des marchés et le développement d’une culture de risque favorisée par le financement en fonds propres, doivent être promus comme des objectifs transversaux [33].

Conclusion

L’Union des marchés de capitaux est un projet suscitant autant d’attentes que d’interrogations. Le souhait du Commissaire Jonathan Hill d’établir, sur la base d’une analyse économique des difficultés associées au financement bancaire et d’une consultation des parties prenantes, un plan d’action à l’horizon mi-2015, permettra d’établir des priorités. Le développement d’instruments financiers standardisés au niveau européen pourrait être un premier objectif autour duquel établir un ensemble cohérent de régulations et de modes de supervision des entités financées, des intermédiaires, et des infrastructures de marché. A ce titre, les mesures relatives à la gouvernance et à la fiscalité des entreprises et à la fiscalité de l’épargne, la régulation des cabinets d’audit, et la supervision des chambres de compensation sont aussi essentiels.


[1] Ce point a été souligné par Steven Maijoor, Président de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), lors de la conférence Finance for growth le 6 novembre 2014. http://www.esma.europa.eu/content/Capital-Markets-Union-building-competitive-efficient-capital-markets-trusted-investors
[2] A priori, l’importance et la compétitivité de la City lui permettraient de bien se positionner sur des instruments financiers, existants ou nouveaux, bénéficiant plus nettement du potentiel du marché unique. Néanmoins, l’Union des marches de capitaux comportera également des régulations nombreuses, qui pourraient apparaître comme de nouveaux obstacles à une profession n’en voyant pas toujours la nécessité. Comme le rappelle Nicolas Véron, « les représentants de la City (…) acceptent peu l’implication logique de l’importance de la place de Londres, celle consistant à aligner leur cadre de régulation avec l’intérêt général européen et non pas seulement l’intérêt domestique ». La réciproque est d’ailleurs vraie : l’acceptation, par les autorités européennes « continentales », de la place de Londres comme plus grand centre financier européen est malaisée en raison de la faible portée, réelle ou perçue, des politiques communautaires. Voir Véron, Defining Europe’s capital markets union, Bruegel Policy contribution, novembre 2014.
[3] L’Union des marchés de capitaux bénéficiera en revanche pleinement du Système européen de supervision financière (SESF), et notamment de l’ESMA, mis en place en 2009.
[4] Le financement bancaire représente environ les ¾ du financement de l’économie dans l’UE, soit l’inverse des Etats-Unis.
[5] Voir Véron, op cit.
[6] Voir par exemple le dernier livre de François Villeroy de Galhau, L’espérance d’un Européen, Odile Jacob, 2014. Pour l’auteur, « l’Europe, plus que les Etats-Unis (peut bien) être le creuset d’une finance durable » où la régulation et les responsabilités individuelles sont différentes.
[7] Voir le Rapport de la BCE, Financial integration in Europe, Avril 2014 et le communiqué de presse associé : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr140428.en.html
[8] Voir le discours du membre du Directoire de la BCE prononcé lors d’une conférence de l’International Capital Markets Association (ICMA) à Paris, le 19 mai 2014, disponible sur www.ecb.europa.eu/press
[9] Voir la récente étude de la BEI, Unlocking lending in Europe, octobre 2014, celles du FEI, European small business finance outlook, ou les études semestrielles de la BCE, Surveys on SME access to finance.
[10] Voir Olivier Marty, « Pour une relance de l’investissement en Europe », Question d’Europe n°325, Fondation Schuman, septembre 2014, texte dans lequel est défendue l’idée que l’incertitude macroéconomique et la capacité, étroitement liée, des États ou des collectivités à s’engager, financièrement et politiquement, sur des projets reposant sur des montages financiers de plus en plus complexes, est déterminante pour la bonne réalisation du plan de 300 milliards d’investissement souhaité par Jean-Claude Juncker.
[11] Voir BEI, op cit.
[12] Voir BEI, op cit, pp. 40-44, une approche ciblée de la résolution des prêts non performants peut prendre plusieurs formes : « bad bank » interne au groupe concerné, approche par véhicules dédiés (SPV), ou création de structures publiques de gestion des actifs non performants.
[13] Une initiative prudentielle récente, le TLAC (« total loss absorbing capacity ») visant à contraindre les banques systémiques à avoir des coussins de capital leur permettant d’être liquidées sans argent public, a ainsi été accueillie favorablement par le G20 de Brisbane et doit encore être affinée d’ici au prochain sommet.
[14] Voir Marty, op cit.
[15] Propos tenus lors de la conférence, Finance for growth, towards a capital markets union, Bruxelles, le 6 novembre.
[16] Le Président de la BCE, Mario Draghi, a indiqué, en septembre 2014, que la BCE mettrait en œuvre un nouveau programme de rachats d’actifs, notamment d’instruments titrisés. Il a été entendu, par la suite, que la somme de ce programme de rachat d’actif conduirait l’institut monétaire à faire augmenter la taille de son bilan de 1.000 milliards d’Euros.
[17] Voir Dominique Perrut, « L’opération vérité de la BCE sur les banques : une étape nécessaire mais non suffisante de la réforme de la zone euro », Question d’Europe n°332, Fondation Robert Schuman, novembre 2014.
[18] Les « prêts non performants » représenteraient ainsi 50% des encours de prêts des banques à Chypre, 34% en Grèce, 25% en Irlande. Ces mauvais prêts sont particulièrement concentrés sur certains secteurs comme l’immobilier. Voir BEI, op cit
[19] La BEI indique comme obstacle au développement de ce marché des coûts de transaction élevés et la limitation des marchés à certains types de prêts, excluant par exemple les PME ou l’immobilier. Voir BEI, op cit.
[20] 4 banques, en Grèce et en Slovénie, ont envoyé des plans de sauvetage approuvés par Bruxelles. La banque franco-belge Dexia étant en cours de démantèlement, il ne restait que 8 établissements devant expliquer leurs plans de recapitalisation à horizon de 6 à 9 mois Voir à ce sujet l’article du journal « Les Échos », Début du repêchage des banques recalées aux tests de résistance, 12 novembre 2014.
[21] Les opérations de fusions-acquisitions devraient reprendre quelque peu à la suite de la création du Mécanisme de supervision unique (MSU). Constituer de plus grands groupes bancaires transfrontaliers est utile pour la diversification des risques.
[22] Voir G. Wehinger et Iota Kaousar Nasr, Non bank debt financing for SMEs : the role of securitisation, private placements and bonds, OECD Journal, 2014.
[23] Voir Benoît Coeuré, op cit.
[24] Voir BEI, op cit, pp. 28-29, dans lequel des « clusters » indicatifs du développement des marchés de capitaux et leur relais sur le financement bancaire sont établis, disponible sur : http://www.eib.org/infocentre/publications/all/unlocking-lending-in-europe.htm
[25] Voir Wehinger, G. et al, op cit.
[26] Voir l’étude de G. Wehinger et Iota Kaousar Nasr, op cit, OECD Journal, 2014.
[27] Voir au sujet de l’emploi des jeunes et de la mobilité européenne le livre de François Villeroy de Galhau, op cit, et sa critique par Olivier Marty, publiée par Slate et disponible sur : http://blog.slate.fr/europe-27etc/16139/francois-villeroy-de-galhau-lance-un-appel-constructif-en-faveur-de-l%E2%80%99europe/
[28] Voir BEI, op cit.
[29] Le marché « d’Asset backed Securities (ABS) » liés à des actifs de PME et d’entreprises était estimé par Altomonte et Bussoli, en juillet 2014, à 68 milliards d’Euros, tandis que celui de « Residential mortgage backed securities » (RMBS) l’était à hauteur de 500 milliards d’Euros. Voir à ce sujet Altomonte et Bussoli, Asset backed securities : the key to unlocking Europe’s credit markets ?, Bruegel Policy contribution, juillet 2014.
[30] Voir Altomonte et Bussoli, op cit, novembre 2014.
[31] Voir Wehinger, G. et al, op cit.
[32] Au titre de la gouvernance d’entreprise, une harmonisation des modalités de faillite, de la restructuration en dehors de procédures judiciaires sont, selon Nicolas Véron, souhaitables. Au titre de la fiscalité, les produits d’épargne doivent faire l’objet d’une harmonisation fiscale dans l’UE, les dispositifs fiscaux simplifiés et la pression fiscale stabilisée, et les différences de traitement fiscal des instruments de fonds propres et de dettes réduites au profit des premiers. Voir Véron, op cit, Nov. 2014.
[33] Voir Maijoor, op cit.