lesechosLa proposition de suppression des classes bilangues a d’abord suscité un débat sur leurs vertus pédagogiques et leur caractère « élitiste ». Puis le risque d’une méconnaissance accrue de l’Allemagne par les jeunes Français, et par conséquent de leur désintérêt pour la construction européenne à l’heure où celle-ci demeure fondamentale pour faire face aux enjeux du monde globalisé, a été justement mis en avant.

Sans juger de l’ensemble du projet de réforme, ne doit-on pas voir dans cette initiative précise du ministère un signe supplémentaire de la persistance d’un sentiment de défiance de la classe politique (et de la technostructure) française à l’encontre de l’Allemagne ?

Reprendre le fil de l’amitié francoallemande implique de prendre une bonne fois pour toutes acte de certaines erreurs passées tout en identifiant des perspectives communes.

Alors qu’était gérée la réunification allemande, les dirigeants français ont eu tendance à croire que l’amitié des deux pays était inaltérable. Cela les empêcha de voir que notre voisin fermait « le livre » de la Seconde Guerre mondiale, de comprendre comment il rétablissait une assise industrielle et politique à l’Est et de prendre la mesure des réformes qu’il engageait à la fin de la décennie 1990. L’absence de réponse de Paris aux propositions d’intégration politique émises par Berlin initia, avec le manque de rigueur économique français des années 2000, une perte d’influence française cristallisée par le « non » au référendum de 2005.

A l’orée de la crise en zone euro, la France eut peine à voir que l’Allemagne se trouvait en réalité isolée derrière la ligne d’orthodoxie qu’elle prôna à l’endroit des pays du Sud.

En effet, c’est tôt après avoir touché les bénéfices de l’Agenda 2000 et manifesté constamment son attachement à la construction communautaire que l’Allemagne se vit très violemment attaquée par les opinions des pays en crise, puis par les dirigeants d’autres pays moins exposés, dont la France. On dénonça alors, avec des expressions parfois douteuses, l’« austérité » indifférenciée imposée par Berlin plutôt que de considérer les lacunes de notre pratique démocratique.

On n’assista pas, durant ces années, à un sursaut des consciences des deux pays sur la nécessité de surmonter ces divergences et de renforcer la connaissance mutuelle. Arrivé au pouvoir, le gouvernement socialiste ne contint guère ses récriminations, puis s’engagea dans la constitution hasardeuse de coalitions avec les pays du Sud tout en relayant des propositions utiles mais irréalistes à court terme (eurobonds, assurance-chômage européenne).

Aujourd’hui, les dirigeants français seraient bien inspirés de poursuivre consciencieusement la restauration de la crédibilité économique du pays, gage d’une influence européenne accrue et d’une confiance allemande affermie. Il est illusoire de masquer ses faiblesses en invoquant les défis économiques ou énergétiques de long terme de Berlin, dont les Allemands ont parfaitement conscience. Il est plus utile d’oeuvrer au renouveau tangible de l’idéal républicain et au renforcement de la cohésion politique et sociale sans laquelle la modernisation française patinera.

Et si l’on continuait de réfléchir à des objectifs de coopération concrète de part et d’autre du Rhin, les conditions de l’élaboration d’un nouveau projet européen seraient bientôt réunies…

Olivier Marty, maître de conférences en macroéconomie européenne à l’Essec, vient de publier (avec Pascal Courtade) « Les Questions internationales en onze leçons ».