(Édito mensuel PME Finance – Septembre 2015)

Étape attendue de cette rentrée, le rapport du Conseiller d’État Jean-Denis Combrexelle sur la réforme du droit du travail a été remis mercredi au Premier ministre. A la suite de nombreuses analyses d’experts, d’essais (notamment de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen) et de rapports de « think tanks » (récemment l’Institut Montaigne ou Terra Nova), ce texte prévoit d’inverser la hiérarchie des normes pour coller davantage aux contraintes de terrain des entreprises. L’avenir dira si la loi promise pour le début 2016 ira assez loin mais le gouvernement semble vouloir s’atteler courageusement à une réforme ambitieuse. Les craintes émises par les représentants des TPE-PME quant à leur capacité à négocier les accords collectifs prévus sont-elles fondées ?

Le gouvernement souhaite donner une place plus importante aux accords collectifs

La philosophie générale du rapport Combrexelle consiste à donner davantage d’importance aux accords collectifs (de branche et d’entreprise) en les faisant primer sur la loi, qui ne garantirait « plus que » les normes fondamentales. Aux accords de branche ou d’entreprise de fixer les règles sur les quatre domaines que sont : le temps de travail, les salaires, l’emploi et les conditions de travail. A la loi « l’ordre public social », c’est à dire les droits garantissant la sécurité, la santé, le respect de la dignité des salariés, les normes communautaires et internationales et des mesures relevant de choix politiques, comme le maintien d’un SMIC national ou une durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires.

La mission a donc suivi une logique de « contournement » du Code du travail, dont la refonte, ardue, est prévue sur une durée de quatre ans afin de « baliser » progressivement les accords collectifs par ailleurs attendus pour être dûment complémentaires et simplifiés. Elle prévoit également que les accords majoritaires signés par des syndicats ayant recueilli au moins 50% des voix aux élections professionnelles soient généralisés dans les branches et les entreprises. Ainsi, une logique démocratique s’imposerait au salarié refusant les conséquences d’un accord visant à sauver ou à développer des emplois : celui-ci serait alors licencié avec des indemnités moins généreuses que lors d’un licenciement classique.

Les réactions des partenaires sociaux ont logiquement été mitigées : le MEDEF a, par la voix de M. Pierre Gattaz, salué un sursaut de « lucidité » , jugeant le pays « mûr » pour accepter des modalités d’organisation du travail conformes à l’économie de demain. Le paysage syndical est en revanche très divisé : la CFDT et la CFTC se sont montrées ouvertes, sous réserve de maintenir un corpus de droits garantis, alors que la CGT et FO y voient, sans surprises, un risque de « régression sociale » et de concurrence déloyale induite par des accords par trop différenciés. L’UPA et la CGPME saluent les avancées mais alertent sur la capacité des petites entreprises à négocier de tels accords.

 

Les accords de branche et les référenda fournissent des garanties aux PME-TPE

Qu’en est-il vraiment pour les petites entreprises ? Les craintes de leurs représentants paraissent légitimes, puisque 98% des entreprises ont moins de cinquante salariés et sont difficilement en mesure de négocier un des thèmes prévus par les accords. Toutefois, le rapport indique, sur la base d’une étude de la DARES, que des « discussions » ont dans les faits très souvent lieu (cf graphique). De plus, le rapport Combrexelle prévoit bien de faire une place large aux branches, qui pourraient proposer des « accords types » ou « clés en mains » aux différentes professions. Il invite par ailleurs à organiser des référendums d’entreprises pour les TPE ou le fait syndical est absent.

La volonté, énoncée élégamment par M. François Asselin (CGPME) de pouvoir « s’abriter sous des accords de branche » pourrait donc bien être satisfaite, même s’il ne faut s’en doute pas trop attendre de la volonté des PME-TPE à élaborer des accords propres. Restent bien sûr des zones d’ombre sur la répartition des thèmes négociés entre les branches et les entreprises, leurs marges de manœuvre, et leur adéquate complémentarité. Ainsi en va-t-il, par exemple, du déclenchement des heures supplémentaires, d’éventuels nouveaux contrats de travail, de conditions particulières de l’emploi dans des secteurs ou le numérique tient une place prépondérante, etc.

 

Graphique : Fréquence du dialogue sur le travail dans les entreprises de 11 salariés et plus

graph-septembre

Lecture : Proportion de chefs d’entreprises de 11 salariés et plus déclarant avoir négocié ou discuté « au moins une fois » avec des représentants du personnel ou d’autres salariés sur le travail dans l’entreprise

Source : Rapport Combrexelle (Étude DARES citée dans « Les Échos »)

 

Des mesures consensuelles qui vont dans le bon sens à affiner dans les mois à venir

La mission Combrexelle représente sans doute un progrès pour les entreprises comme pour les salariés. Ses préconisations témoignent certes de l’importance et des limites politiques de l’expertise mais paraissent en mesure, si on les applique, de relancer l’emploi et l’activité. Elles peuvent insuffler plus de coopérations tant dans les entreprises et les branches que dans des organisations patronales et syndicales et il y a tout lieu de penser que ce changement concourra à assainir les pratiques démocratiques françaises. Reste, comme toujours, que les mesures d’application prises devront être simples et pérennes et qu’elles ne peuvent pas se substituer à une politique économique crédible, bien plus importante.

 

Olivier Marty, 10 septembre 2015